Temporalzinsbuch, ou registre des loyers précaires
Le Temporalzinsbuch est un Registre des loyers communaux particulier, en usage de 1685 à 1741.
Les Registres des Communaux : rappel général
Sous l’Ancien Régime, les Registres des Communaux (Allmendbücher) sont tenus dans un but comptable. Ils répertorient à partir de 1427 les loyers dus à la Ville pour toute jouissance d’un terrain public. Il peut s’agir de la location d’un pré, d’un droit de marché, de la location d’un bâtiment (par exemple des boutiques ou d’étaux de boucher qui appartiennent à la ville), d’une redevance due pour un bâtiment privé, qu’elle soit liée à la construction (auvent, Wetterdach, encorbellement, Usstoß, Überhang, etc.) ou à l’usage (étal, Banck, ou échoppe, Gaden à l’extérieur de la maison). Les premiers datent de l’instauration des Préposés aux communaux (Allmendherren) le 22 juin 1427. Ce collège rassemble des membres du Conseil, des Quinze et des Treize, le directeur des bâtiments (Lohnherr), un des trois préposés à la Tour, le maître des cens (Zinsmeister) et deux experts. Son rôle est de contrôler et de fixer les redevances (voir Jean-Yves Mariotte, Sources manuscrites de l’histoire de Strasbourg, pp. 108-109).
Ces Registres sont de deux sortes, les Registres des communaux (Allmendbücher) proprement dits et les Registres des loyers communaux (Allmendzinßbücher).
Les Registres des communaux (Allmendbücher) résultent d’enquêtes sur le terrain. Ils énumèrent toutes les maisons en suivant l’alignement des rues, qu’une rente rente foncière y soit assise ou non. Comme l’enquête suit l’alignement des maisons, c’est-à-dire que chaque côté d’une rue fait l’objet d’une rubrique, certaines maisons peuvent apparaître deux fois si elles donnent sur deux rues ; le cas le plus simple est une maison d’angle (Eckhaus, Orthshaus). Certaines propriétés ont cependant une façade sur deux rues parallèles, comme celles du Vieux-Marché-aux-Poissons qui ont souvent un bâtiment annexe dans la rue du Vieil-Hôpital. Jean Henri Wanger doit pour sa maison (…) est la structure d’une notice dans les registres d’enquête qui répertorient les maisons toujours d’après leur propriétaire, c’est-à-dire celui qui devra régler le loyer. Les enquêtes donnent l’état des rentes dues à un moment donné.
Les Registres des loyers communaux (Allmendzinsbücher) les plus récents (à partir de 1652) sont des livres comptables qui enregistrent le paiement des rentes perpétuelles. Ils sont classés par contribuable et renvoient des uns aux autres : une page mentionne le folio de l’ancien registre et celui du registre suivant où est enregistrée la même rente. Ces livres comptables permettent ainsi de suivre à travers le temps les détenteurs d’une rente, donc de l’objet sur laquelle elle est assise. L’usage du XVIII° siècle distingue les Registres des loyers communaux intra-muros (Stattzinsbücher) et les Registres des communaux extra-muros (Allmendzinsbücher). Il existe aussi un Registres des loyers communaux particulier, appelé Temporalzinsbuch (cote VII 1459, sans que le répertoire des Archives le désigne par le nom qu’il portait à l’époque). Ce nom est établi a) dans le registre lui-même par une quittance (folio V verso) et par un feuillet (68 verso) glissés entre deux pages du registre, b) en toutes lettres ou de manière abrégée (TZb.) dans les autres registres de loyers qui font référence au Temporalzinsbuch.
Ces registres distinguent les rentes précaires et les rentes perpétuelles comme on le constate d’après les Registres des communaux, par exemple celui de 1587 qui propose parfois en note marginale de transformer certains loyers en rentes perpétuelles. Celles-ci sont alors enregistrées dans les registres des loyers communaux. On notera aussi que toutes les avances ne font pas l’objet d’une rente communale puisqu’il est possible de régler un capital en une seule fois au lieu de payer une rente chaque année.
Le Temporalzinsbuch : description
C’est un petit registre sans couverture. Il commence par des pages à onglets alphabétiques (A à Z), suivies de 71 folios numérotés et d’un index alphabétique.
Les onglets alphabétiques étaient manifestement destinés à servir de table aux actes enregistrés par la suite comme c’est la cas pour d’autres registres, par exemple les Compte rendus des Directeurs fonciers (Bauherren). Ces onglets ne servent cependant pas une table, certaines pages (B, C, D, E, G, H, R, S, T, V, W, X, Z) répertorient des loyers réglés par des contribuables dont le nom commence par la lettre en question : on trouve ainsi von Gottesheim à la lettre G, Helck à la lettre H, etc. Les premiers articles y ont été portés en 1697. L’onglet B est un article particulier, Bleicher accis (accise des blanchisseurs), les onglets C, D et E Comédiens, (la suite se trouve aux folios 63 v° et 64 v°) ; ces articles ont été commencés plus tardivement, respectivement en 1718 et 1714.
Le recto des 71 folios mentionnent tous des loyers à régler, le verso a parfois servi par la suite. Ils se présentent comme les autres Registres des loyers communaux : un titre qui commence par le nom du contribuable et l’objet de son loyer puis les quittances aux échéances prévues, en général chaque année. Quand un loyer est devenu caduc, la suite le la page sert à en enregistrer un nouveau.
Le registre porte souvent des titres courants, le premier est Scharffeneck, c’est-à-dire le Bastion de la Bruche : partie entre le fossé des Orphelins (Waisengräbel) et le rempart, depuis la porte Sainte-Elisabeth à l’est jusqu’à la rivière à l’ouest. Les premiers articles y ont été inscrits en 1685 (folio 18), la plupart en 1687 (folios 2, 2 v°, etc.), certains n’ont pas été complétés par la somme due comme aux folio 6 ou 15, beaucoup d’articles ne sont pas suivis de quittance (folio 12) ou les quittances sont été enregistrées peu de temps (1687 à 1689, par exemple folio 17). Comme les premiers articles enregistrés n’ont pas donné lieu à des quittances durables, il s’ensuit que tous les folios commencés en 1685 ou en 1687 ont été réutilisés pour d’autres loyers perçus quand les Directeurs fonciers ont rendu une décision en 1702. Les loyers qu’on percevait toujours en 1733 ont été reportés au Registre des loyers communaux intra-muros (Stattzinsbuch) qui était alors ouvert, celui coté VII 1466, c’est-à-dire le deuxième qui couvre la période 1676-1741. Les terrains ont entre temps été mesurés par le préposés pour permettre de fixer un loyer proportionnel à leur taille, ce qui a été porté dans les marges. Les loyers dus pour d’autres articles ont été reportés dans les registres ordinaires en 1741.
La page 2 du registre se présente comme suit :
Scharff Eck | Maurice platz : d. hauß 25 sch. lang, 28. br. alles 980 I. garthen, 35 lang, 7. breit, alles 245. 2. gärtl. 24. lang, 23. br. alles. 782 th. in allem 2007. |
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Pierre Jaubert | Parisien soll von einer baracque gegen den Schleußen quartaliter, vom 25. Aprilis 1687 anfangend nemblichen 10 ß |
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Joh: Jelch, Thurnhüther Louis Jeanpel |
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Jetzt Nicolas Maurice à 2 lb Louys Decret, 1712 I.mo Johann Gilg |
Isaie Mullo, der frantz. Schuhmacher, soll von einem häußlein im Scharffeneckh, so 58 Schuh lang, auf der einen Seiten 34. Schuh der andern aber 34. Schuh und 4 Zoll breit ist, Jahrs vf Joh: Baptæ und A° 1703. I.mo l. Prot: de 1702. f. 47, |
2 lb |
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Isaie Mullo Pierre le Tournois, v. 12. et 14-b Andreas Schaffer |
Ferner soll Er von einem Allmend platz dabeÿ, so Er eingezäunt und 840 quadrat Schuh groß ist, vf Joh: Baptæ und A° 1703 I.mo l. Prot: de 1702. fol: 56, |
– 10 ß |
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[quittances 1702-1719, dont] 1706 zalt Maurice, Zalt Mullo 1712 Zalt Maurice par Claude Leger 1713 Degret – Mullo 1715 Tournois, Decret 1717 Tournois, Jeanpel 1721 Tournois, Gilg |
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Johannes Gilg der frantzösische thurnhüther Soll ferner Von einer landvest und Steeg Hinter seinem thurn biß an die bänck gegen der Statt Stall jahrs auff Georgÿ und l. Protocollo de anno 1729 fol. 163. anno 1730. I.mo, |
– 10 ß |
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weiter für die erlaubnus einige Hundert boßen Stroh auff die bühn der newgemachten Schleußen zu legen, jährlich und auff Georgÿ 1730. I.mo l. Protocoll de 1729. f. 163. welches zugleich diese erlaubnus auß sein persohn restringiet, |
– 10 ß |
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[quittances] 1730-1734, dont 1733 Schäffer 1734 Gilg, Schäffer |
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Statt Zb. fol. 747-b et 748 |
Comme il est habituel, la marge de droite sert à indiquer les sommes à verser et celle de gauche le ou les nouveaux contribuables. La page se termine par le renvoi au registre suivant, ici les folios 747 verso et 748 recto du Registre des communaux intra-muros (Stattzinsbuch).
On a commencé par ne remplir que le recto des folios. Ce sont d’ailleurs eux qui portent presque exclusivement un titre courant. Ce n’est que par la suite qu’on a rempli le verso des folios, en général pour enregistrer des loyers qui se rapportent au titre courant mais éventuellement pour d’autres. Les loyers ont été classés par quartier :
- A la Porte des bouchers (Innerhalb des Metzger Thors, Hinder den Cazernen am Wahl inner halb des Metzger Thors, Inner halb dem Metzger Thor, Metzger Thor, folios 19 à 23 v°, on trouve des ajouts dans la suite du registres aux folios 34, 47 v°, 53 v°)
- Rue de la Poule (In der Hennen gaß, folio 24)
- Près les Capucins (Beÿ dem Capuciner Closter, folio 25)
- Au quartier Saint-Nicolas-aux-Ondes (Beÿ St. Nicolai in Undis, folios 25 v° à 33)
- Places de la cathédrale, place Saint-Martin (St.Martins Platz, Münster Platz, folios 32 v° à 35 v°, 36 v°)
- A l’île Sainte-Claire (Beÿ St. Claræ Wörth, folios 36-39, clos en 1705-1706 par la démolition des baraques)
- A la porte des Juifs près l’arsenal (Judenthurn beim Zeughauß, folio 40)
- Esplanade (folio 41 puis 57)
- A la porte au faubourg de Pierres (Beÿ dem Stein Straßer Thor, folio 43)
- A la porte de Cronenbourg (Beÿ dem Cronenburger Thor, folio 44)
- Au Marais vert (Grün Bruch, folio 44 v°)
- A la porte blanche (Beÿ dem Weißen Thurn, folio 45)
- A la porte Saint-Etienne (Beÿ dem Stephans thor, folio 46 v°, aussi 40 v°)
- Au pont du Corbeau (Auff der Schindbrucken, folios 47 à 55)
- Au marché au blé (Auff dem Kornmarckt, folio 60) Johann Jacob Hattinger puis Moyse Murat
- Place des Dominicains (Auff dem Prediger Kirchhoff, folio 61), plus tard Marché Neuf
- Au pont du Rhin (Beÿ der Rheinbrucken, folios 66 à 68)
- Etaux du poële des Jardiners au faubourg des Charrons, place Saint-Martin (E.E. Zunfft der Gartner Under Wagnern soll Standt geld von St. Martins platz, folio 70)
- Graffenstaden, folio 71
Les rubriques les plus fournies sont celles où on a contruit de nouvelles maisons lors de l’arrivée des Français : Bastion de la Bruche, Porte des bouchers, quartier Saint-Nicolas.
Outre le terrains où sont établis des jardins, des maisons ou des boutiques sous les rubriques énumérées plus haut, on en trouve d’autres, aussi bien dans les murs (Grünauel au folio X, porte Sainte-Elisabeth folio X v° ou Z, etc.) que hors les murs (comme aux folios 63 ou 64 v°). On trouve par ailleurs d’autres loyers :
- logements au Lazaret, folio S, T v°, V, V v°, W ; à la Scharwacht, folio 59
- places à bois (ci-dessous, à des bourgeois) et 55-v
- étaux, folio T
- prés ou terre, folio T, 56, 56-v, 64, 68, 68-v, 71-v
- terrains hors le ban de Strasbourg, folio 57, 62-v, 67, 68-v
- droit de pacage, folio 61-v, 62-v, 68
- droit pour suspendre le tabac, folio G, W, 39 v°, 45 v°46-v
- droit de fauchage, 55-v, 58, 62-v, 66-v, 69, 69-v, 70-v, 71, 71-v
- droit de pêche, folio R
Commentaire
Les premiers loyers qu’on a inscrit au registre permettent de se faire une idée de l’intention qui a donné lieu à son ouverture. Il s’agit de loyers assis sur des maisons, en général de petites maisons ou des baraques, c’est-à-dire des constructions légères en planches. La Ville a essayé de percevoir des loyers à partir de 1685 mais ce n’est que suite aux décisions que les Directeurs du bâtiment ont pris en 1702 que ces loyers ont été durablement perçus, assis sur des terrains où on trouvait de plus en plus de maisons solides. Ces terrains ont été ensuite arpentés pour permettre de fixer la rente foncière avec précision comme on le constate par les mentions portées en marge (voir l’exemple ci-dessus).
Nombre de loyers étaient dus au titre de terrains compris dans l’agrandissement de Vauban (Bastion de la Bruche, Porte des bouchers, quartier Saint-Nicolas-aux-Ondes, etc.). Ils étaient réglés par des Français nouveaux venus. Les loyers du Temporalzinsbuch ne se limitent cependant pas à ces nouveaux terrains compris dans l’enceinte de Vauban. Ce sont en effet des Français qui doivent les loyers enregistrés au Marais Vert, normalement enregistrés dans le registre ordinaire même s’ils sont dus par des non-bourgeois. Le Temporalzinsbuch sert ainsi à enregistrer les loyers dus par des manants français. C’est aussi l’époque du Temporalschirm, manance précaire (temporelle disait-on par latinisme au XVIII° siècle, à rendre par « précaire » plutôt que « temporaire » qui suggère une durée nécessairement limitée). On peut donc rendre Temporalzinsbuch par « registre des loyers précaires ». Ces loyers une fois considérés comme durables sont d’ailleurs reportés dans le registre des loyers intra-muros en 1734 : à partir de cette date, ce sont des loyers ordinaires.
Les limites du Temporalzins, soit le loyer précaire, restent cependant difficile à établir. On y trouve des permissions accordées à des bourgeois pour poser des planches sur le communal comme il y en a aussi dans le registre ordinaire : par exemple au folio G où le batelier André von Gottesheim est autorisé à entreposer des planches sur un terrain près du canal aux Fleurs (Blumengiessen) ou au folio 63 où le le boucher Samuel Goldtbach bénéficie d’un droit de pacage. Le registre ordinaire et le registre des loyers précaires enregistrent tous deux des terrains hors du ban de Strasbourg, comme ceux au-delà du Rhin, à Kehl et Eckartsweier (folio 67) ou à Elgersweier et Zunsweier (folio 68 v°).
Il est assez caractéristique que dans le Temporalzinsbuch les loyers des places devant la Cathédrale, à Saint-Martin ou au Fronhoff soient dus par des Français : ils sont en effet généralement portés au registre ordinaire – même si on trouve Daniel Fuhrmann au folio 36 verso, c’est-à-dire un loyer ajouté par la suite comme sur tous les versos.
On peut ainsi conclure que le loyer précaire est à la fois défini par l’objet sur lequel il est assis et par la personne qui doit le régler. On a en effet ouvert peu d’articles pour des bourgeois, la plupart l’ont été pour des manants. Comme beaucoup de loyers sont assis sur des objets faciles à identifier (Bastion de la Bruche, Porte des bouchers, etc.), il n’a pas été gênant de se reporter à un registre spécial lors de la perception des loyers. Il en va cependant autrement quand il s’agit de loyers dus pour des objets qui sont pour la plupart enregistrés dans le registre ordinaire, comme ceux assis sur des places de marché (devant la Cathédrale, place Saint-Martin, etc.). Ce doit être là une des raisons qui ont incité l’administration comptable à reporter les articles dans le registre ordinaire en 1734 pour les maisons et en 1741 pour la plupart des autres articles. De cette date, le loyer précaire se confond avec le loyer ordinaire, la distinction établie à partir de 1685 n’a plus cours. Dans l’intervalle ces terrains qui avaient été assez vaguement définis au début ont été arpentés et appartenaient pour la plupart à des bourgeois d’origine française ou non : ils étaient devenus des terrains ordinaires que leur histoire seule distinguait des autres.