Institutions de la Ville
Voir aussi Gouvernement civil de Strasbourg (Almanach d’Alsace pour l’année 1783)
La bataille de Hausbergen en 1262 marque la fin du pouvoir de l’évêque à Strasbourg. Indépendante depuis 1263, Strasbourg devient ville d’Empire (Reichstadt) et jouit de libertés plus importantes que les autres villes impériales. Qualifiée de « ville libre » pour la première fois par Charles IV en 1358, elle n’est pas tenue de prêter serment à l’Empereur. Le gouvernement de la Ville est régi par la Charte qui en forme la constitution depuis 1334 et dont on donne chaque année lecture au Jour du serment (Schwörtag).
La ville est gouvernée par le Conseil (ou Sénat, Rath) qui a d’abord été renouvelé chaque année. On a ensuite remédié aux inconvénients de ces changements en remplaçant la moitié des assesseurs chaque année à partir de 1456, ce qui assurait une continuité du gouvernement. Le conseil donne délégation à un maître (Meister) puis à deux, le préteur (Stettmeister) qui représente les patriciens et le consul (Ammeister) qui représente les tribus. Outre le consul, le Conseil comprend depuis 1482 trente membres, dix notables (ou patriciens, Constofler, bourgeois ou nobles) et vingt représentants des tribus (ou corporations, Zünfte).
Le Conseil est assisté par des commissions permanentes (beständiges Regiment) ou chambres secrètes (geheime Stuben) : les Vingt-et-un (XXI), les Quinze (XV) et les Treize (XIII). Les membres de ces chambres inamovibles sont nommés à vie. Dans les anciens documents en français, le Magistrat désigne à la fois le gouvernement de la Ville et les dirigeants (1).
Les Vingt-et-un sont mentionnés en 1395. Ils comptent depuis la fin du XV° siècle trente-deux membres qui prennent part à toutes les sessions du Conseil sauf quand il a fonction de tribunal. Les XXI qui ne siègent jamais seuls n’ont pas non plus de sceau. Les décisions (ordonnances et règlements, Mandate und Ordnungen) du Magistrat ne commenceront plus par la formule « Nous, les Maîtres, le Conseil et les Echevins » mais par « Nous, les Maîtres, le Conseil et les XXI ».
Les trente-deux membres des XXI se répartissent en deux chambres, les XIII (treize membres) et les XV (quinze membres), auxquels s’ajoutent quatre suppléants (ledige Ein-und-zwantziger) qui remplacent un membre à sa mort.
Les Treize apparaissent au début du XV° siècle. D’après la règle établie en 1420, les XIII présidés par le consul se composent de quatre patriciens (Constofler) et de huit représentants des tribus, dont quatre anciens consuls. Les XIII pouvaient délibérer seuls et avaient un sceau. Ils réglaient avec le Conseil les affaires diplomatiques et militaires.
Après la Capitulation, c’est le préteur royal qui assure les relations extérieures. Les Treize sont alors chargés des relations avec le pouvoir royal, notamment de la correspondance avec les ministres à Versailles, tout en continuant de s’occuper des affaires intérieures : fortifications, écuries, etc.
Les Quinze sont institués par la constitution de 1433. Leur rôle est d’assurer le respect des lois et des coutumes en contrôlant les dirigeants et en proposant des améliorations. Les XV dirigent l’administration et les finances, ils règlent les affaires qui dépassent la compétence d’autres assemblées, notamment celle des tribus.
Le Conseil conserve ses pouvoirs suprêmes de décision mais il se limite le plus souvent à ratifier les propositions des XIII et des XV. Seul le pouvoir judiciaire (civil et criminel) reste de l’entier ressort du Conseil.
Les tâches judiciaires sont si nombreuses que le Conseil finit par limiter sa compétence aux affaires les plus importantes : bannissements, condamnations à mort ou dettes considérables. Le Conseil (Grand conseil ou Grand Sénat, grosser Rath) confie les affaires moins importantes au Petit conseil ou Petit Sénat (kleiner Rath) qui apparaît à la fin du XIV° siècle. Il est nommé par le Conseil et les XXI, il compte dix-huit membres présidés par le consul sortant.
Les finances et les impôts sont gérés à partir de 1402 par les Trois de la Tour aux Deniers (Dreier des Pfenningthurns) qui sont nommés par les Conseillers et les Vingt-et-Un (Räth und XXI) sans en être membres. Ils sont choisis parmi les échevins (Schöffen, représentants des tribus) et restent en fonction trois ans, l’un d’eux étant renouvelé chaque année. Les Trois de la Tour aux Deniers disposent de fonctionnaires parmi lesquels
- le maître des rentes (Rentenmeister) qui perçoit les recettes provenant des créances et de la vente des récoltes,
- le maître des loyers (Zinsmeister) qui perçoit les loyers des immeubles municipaux,
- le maître de la halle (Kaufhausmeister) qui contrôle le commerce des marchandises à la halle (Kaufhaus, ou douane),
- le maître des greniers d’abondance (Kornmeister) qui gère les réserves de la Ville,
- le chef des travaux publics (Lohnherr),
- le chef des communaux (Allmendherr) qui perçoit les loyers pour occupation des communaux.
Les impôts directs étaient gérés par une commission de trois membres. On citera l’accise (Umgelt), taxe sur les transactions, notamment sur le vin, ou encore les droits des péages établis aux portes de la Ville, au bord des rivières (Wasserzoll) ou au pont sur le Rhin (Rheinzoll).
Les maîtres de l’écurie (Stallherren) percevaient à l’origine un impôt en nature destiné à entretenir les chevaux pour le service de la Ville. La contribution, proportionnelle à la richesse des bourgeois, devient ensuite un impôt direct, la taille (Stallgeld).
La Capitulation de septembre 1681 qui reconnaît le pouvoir royal de Louis XIV ne modifie pas la constitution de la Ville mais son application. Représentant de l’autorité royale, le préteur royal entre au Conseil et reprend notamment certaines attributions des Treize. Le Roi impose à la Ville protestante l’alternative (5 avril 1687) d’après laquelle chaque emploi public sera alternativement détenu par un catholique et un protestant.
Le XVIII° siècle crée une Chambre d’économie chargée de contrôler les finances de la Ville suite aux malversations du préteur royal François Joseph de Klinglin.
Janvier 2012, novembre 2016
Ce rapide exposé repose en partie sur la contribution de Philippe Dollinger au Livre III de l’Histoire de Strasbourg des origines à nos jours (tome II) et sur la présentation de Jean-Yves Mariotte dans Les Sources manuscrites de l’histoire de Strasbourg.
Préteur, consul
Un consul (Ammeister) et quatre préteurs (Stettmeister) étaient élus pour un an. Chacun des préteurs exerce ses fonctions trois mois.
La traduction de Meister (maître) par consul se réfère à l’habitude de rendre Rath (conseil) par sénat. La distinction entre Stättemeister (Stettmeister) et Amtmeister (Ammeister) a été rendue par préteur et consul suivant les mêmes principes, bien qu’on trouve souvent des formes plus ou moins francisées (ammeister, ammestre). Sur le sens de Ammeister, auparavant Amannmeister (Kœnigshoven cite aussi Antwerckmeister, consul des métiers ou des tribus, Antwerck désignant comme Handwerck le métier, le corps de métier), on consultera Jean Martin Pastorius (Kurze Abhandlung von den Ammeistern der Stadt Straszburg, 1761, en part. les pages 46 et suiv.) qui argumente que Ammann aurait désigné soit le maître de tribu (Zunfftmeister) soit (voir p. 49) les conseillers (officialis, Gerichtsleute) de chaque tribu.
Constofler est une variante de Constabel, Constavel, le même mot que le français connétable, du latin comes stabuli, comte de l’étable. Les historiens ont pris l’habitude de rendre Constofler par « patricien » pour éviter de le rendre par noble comme on le faisait au XVIII° siècle.
Alternative
De par le Roy. Très-chers et bien-amés. Ayant esté informé qu’il a y presentement dans la ville de Strasbourg un nombre considerable de bourgeois catholiques et considerant qu’il ne seroit pas juste que lesdits bourgeois catholiques n’eussent aucun d’eux dans le Magistrat, tant pour veiller à la conservation de leurs interests (…) nous vous faisons cette lettre pour vous dire que notre intention est que doresnavant, et à commencer aux prochaines assemblées qui se feront pour eslire aux charges et emplois qui viendront à vaquer (…) les charges dudit Magistrat soient alternativement remplies de catholiques et de luthériens (…) afin qu’il y ait toujours dans ledit Magistrat un nombre de bourgeois ou habitants catholiques et luthériens proportionné à ce qu’il y en aura dans la ville de l’une et l’autre religion. Donné à Versailles, le 5 d’Avril 1687. Louis.
Commentaire du consul François Reisseissen dans son mémorial
Den (-) Aprilis hatt allhiesiger magistrat einen lettre de cachet von Ihro Mayestæt empfangen, worinnen befohlen wordten, dass mann in das künfftige auch catholische nach proportion solle in das regiment erwehlen, desswegen als den 10. Maii Monseigneur de Louvois allhie gewessen, hat man zwar demselbigen ein memorial præsentirt, aber nichts erhalten, sondern hatt er des kœnigs allergnædigten willen dahin erlæutert dass nach proportion der lutherischen burger und hintersassen, so dann der catholischen burger und hintersassen, solte das regiment, wann ein fall sich begibt, oder durch alternation vacirend würd, ersetzen, welches sowohl wider instrumenta pacis alss unssere fundamentales leges.
Le (-) avril le Magistrat a reçu de Sa Majesté une lettre de cachet qui lui ordonne d’élire dorénavant proportionnellement des catholiques au conseil. Quand Monseigneur de Louvois s’est trouvé en cette ville le 10 mai, on lui a remis un mémoire qui n’a pas reçu de réponse, il a simplement déclaré que la volonté du Roi est quil faut nommer au conseil des membres luthériens et catholiques à proportion des bourgeois et manants luthériens et catholiques à chaque fois qu’un siège est vacant ou qu’il y a permutation, ce qui contevient à la fois au traité de paix et à notre constitution.
(Texte de la lettre et du mémorial, p. 133-134 de l’édition de Rodolphe Reuss, Strassburgische Chronik von 1667-1710. Memorial des Ammeisters Franciscus Reisseissen, Strasbourg, 1877)
Almanach d’Alsace pour l’année 1783
A Strasbourg chez Lorenz & Schouler, imprimeurs du Directoire de la Noblesse, sous les petites arcades
Gouvernement civil de Strasbourg
[pp. 205-209] La juridiction civile & criminelle de la ville est administrée depuis un temps immémorial par un Sénat composé de trente & un membres, dont un tiers est tiré de la Noblesse du Directoire de la basse Alsace, les deux autres le sont de la bourgeoisie. Le Sénat est présidé par un Préteur ou Stettmeistre & un Consul ou Ammeistre.
Les Stettmeistres aussi bien que les Ammeistres sont au nombre de six, qui se relèvent, les premiers alternativement de trois en trois mois, les autres chaque année. Il est des fonctions du Stettmeistre Régent de recueillir les voix dans le Sénat ; il garde le grand sceau & l’on voit son nom à la tête de toutes les ordonnances & actes, qui émanent de l’autorité du Magistrat. L’Ammeistre régent convoque le Sénat, dont il a la direction & il y ouvre le premier son avis. Les procès & les différens entre les bourgeois sont portés devant lui, il décide ceux qui sont de peu d’importance & renvoye aux départements respectifs les affaires sujettes à quelque discussion, à moins que les parties n’ayent prorogé sa jurisdiction de leur gré.
Les Sénateurs sont élus par les échevins des 20 tribus, auxquelles toute la bourgeoisie est aggrégée. La moitié en quittent leurs fonctions d’une année à l’autre, & on leur en substitue autant de nouveaux ; de sorte que chaque Sénateur n’exerce sa charge que pendant deux ans.
Ce Sénat, appelé le grand Sénat, juge en dernier ressort au criminel ; au civil il juge sans appel jusqu’à la concurrence de 1000 lb & par provision jusqu’à la concurrence de 2000 lb sur l’avis & le rapport d’un des Avocats généraux, qui y siegent par quartier.
Le petit Sénat, composé de l’Ammeistre, qui sort de régence & qui y préside, de 6 Conseillers nobles & de 16 de la bourgeoisie, juge les procès civils jusqu’à la concurrence de 1000 lb sur l’avis & le rapport du référendaire.
La Régence perpétuelle, ou de qu’on appelle das beständige Regiment, est représentée par les chambres des XIII, XX & XXI, qu’on appelle aussi les chambres secrettes.
La chambre des XIII est composée aujourd’hui de quatre Stettmeistres, de six Ammeistres & de quatre XIII de la bourgeoisie, appelés ledige XIII. Le Stettmeistre régent, lorsqu’il est de la chambre des XV, préside aussi dans cette chambre des XIII, ainsi que l’Ammeistre régent, quand même il ne serait que XXI. C’est la chambre des XIII, qui traite les affaires majeures, soit avec la Cour, soit avec les Commandants & Intendants, soit avec les cours voisines. Elle connoit aussi des causes, qui y sont portées par appel du grand & du petit Sénat, & dans ce sens elle est appelée le Cammergericht. Elle juge alors sans appel ultérieur jusqu’à la concurrence de 1000 lb & par provision jusqu’à la concurrence de 2000 lb.
La chambre des XV, composée de cinq Gentilshommes, dont deux sont Stettmeistres, & de dix de la bourgeoisie, est commise à l’effet de veiller à l’exécution & au maintien des statuts & règlements de la ville ; elle a soin de différens objets de commerce & de finance, & la police des arts & métiers lui est confiée. Tous ses jugements sont en dernier ressort & sans appel.
Il n’y a pas à proprement parler de chambre séparée des XXI. Les Magistrats, qui portent ce titre, sont pour l’ordinaire au nombre de quatre ou cinq, qui passent par la suite dans les chambres des XIII ou XV.
Lorsque le grand Sénat & les trois chambres secrètes sont réunies, on appelle cette assemblée le Conseil & XXI ou Rath und XXI. Le parquet est alors composé du plus ancien des Avocats généraux & du Secrétaire de la chambre des XIII. Les autres Avocats-généraux y sont appellés dans les affaires importantes. C’est-là, où les ordonnances & les réglemens généraux reçoivent leur sanction ; c’est à cette chambre, à laquelle les traités ont conservé ce qu’on appelle jus circa sacra sur les sujets de la Confession d’Augsbourg, où les affaires ecclésiastiques & par la voye des supplications les affaires matrimoniales des Protestans sont portées ; c’est-là où sont portées les affaires gracieuses ; c’est-là où se font les élections de tous les assesseurs des trois chambres, ainsi que les principaux officiers & employés de la ville.
Quant à la religion, la loi de l’alternative, établie par le Roi en 1685 entre la religion Catholique Romaine & la religion Protestante de la Confession d’Augsbourg, s’observe tant dans le remplacement des membres du Magistrat, que dans celui des officiers employés, qui en dépendent.
Le Préteur Royal, en vertu de l’édit de création de 1685, préside à toutes les assemblées du Magistrat il est chargé de veiller aux intérêts de S. M. ainsi qu’à ceux de la ville & de l’Université Protestante.
Notes
(1) La formule
Wir Frantz Samuel von Beckheim der Meister und der Rath der Statt Straßburg mit unseren Freunden den Ein und Zwantzigen
qu’on trouve par exemple dans un décret bilingue imprimé de 1772, soit littéralement « Nous, (nom) maître et conseiller de la Ville de Strasbourg, ainsi que nos pairs les Vingt-et-Un », est rendu par
Nous les préteurs consuls et magistrat de la Ville de Strasbourg
dans la version en français.