Noms de rues


Les noms des rues dans la ville entourée de ses remparts : repères dans la ville, mémoire et traduction, nouveaux faubourgs, événements politiques et noms de rues

Repères dans la ville

Les repères connus de tous les habitants servent à dénommer les rues. On appelle un endroit où se tient le marché aux poissons Fischmarckt (marché aux poissons). La rue le long des arcades qui abritent le commerce des pois prend le nom de An den Erbslauben (arcades aux Pois qui deviennent à la fin du XVII° siècle les arcades commerciales, Gewerbslauben). Les églises donnent leur nom à la place Saint-Etienne (Stephansplan), à la place Saint-Thomas (Thomanplan), au quai Saint-Nicolas (Niclausstaden) ou à la place du Temple-Neuf (beym Prediger Kirchhoff, au parvis des Prédicateurs). Ces dénominations sont bien vivantes puisque la rue Saint-Louis porte le nom de la nouvelle église que Louis XIV y a fait établir. Les canaux ou les anciens canaux donnent leur nom à la rue des Bouchers (Metzgergiessen, canal des bouchers), à la rue d’Or (Goldgiessen, canal d’or), à la rue du Fossé des Tanneurs (Gerbergraben) ou au quai des Fleurs (Blumengiessen, canal aux Fleurs, partie de la rue de Zurich près de l’hôpital militaire). Les poêles de tribus servent aussi de repères, d’où la rue des Drapiers (Tucherstubgass, littéralement rue du poêle des drapiers), la rue des Cordonniers (Schuhmachergass) ou celle des Charpentiers (Zimmerleuthgass). La rue des Fribourgeois (Freiburgergasse, traduit depuis 1919 par Francs-bourgeois) porte le nom de la tribu des Fribourgeois (aubergistes) qui occupait une maison appelée Zum Freiburger, désignation qui renvoie au nom ou à l’origine d’un propriétaire. Il suffit parfois que divers artisans d’un même métier se rassemblent dans une rue pour qu’elle porte leur nom, comme les orfèvres (Goldschmidgasse, rue des Orfèvres, anciennement rue des Prédicateurs, Predigergass), les lanciers ou éperonniers (Spiessgass ou Sporergass, d’où rue des Hallebardes) ou les pâtissiers (Fladergass, qui prolonge l’ancienne rue des Hallebardes de la rue des Orfèvres à celle des Juifs).

Dans les faubourgs à l’intérieur des remparts, la rue principale a le nom de la porte à laquelle elle aboutit : la Porte blanche (Weissenthurn) donne son nom au faubourg Blanc (Weissenthurnstrass, aujourd’hui Faubourg National), la porte de Cronenbourg au faubourg de Cronenbourg (Cronenburgerstrass, aujourd’hui Faubourg de Saverne), la porte de Pierre (Steinthor) au faubourg de Pierre (Steinstrass) ou encore la porte Sainte-Elisabeth (Elisabethenthor) à la rue Sainte-Elisabeth (Elisabethengass).

Rues secondaires

Les rues plus petites sont souvent appelées d’après une maison qui se trouve à son entrée, telle la rue de l’Ecurie d’après la maison zum Stall à l’angle occidental de la rue de l’Ail ou la rue au Fil de soie (actuelle rue des Bateliers) d’après la maison zum Seidenfaden (qui représente un patronyme, voir plus loin) à l’angle occidental du quai des Bateliers. Elle peut aussi se trouver plus loin dans la rue comme rue de l’Epine (zum Dorn, aussi un patronyme, d’après la maison qui porte aujourd’hui le numéro 9).
Les auberges servent aussi de référence. La rue du Coq (Hahnengass) porte le nom de la maison zum rothen Hahnen (au coq rouge) à l’angle de la Grand rue, la ruelle du Saumon (Salmengässlein) celui de l’auberge à l’angle de la rue des Chandelles ou la ruelle de l’Etoile à la Krutenau d’après l’auberge zum Stern (à l’Etoile) à son entrée.
Il arrive que la rue garde la mémoire d’événements anciens. La rue du Coin Brûlé (im Brand ein End, qu’on a mieux rendu par rue Bout du feu) perpétue le souvenir de l’incendie de 1384.

Noms à l’origine oubliée : sens et traduction

Les habitants d’une ville adaptent régulièrement les noms de lieux en leur préférant un nom qu’ils comprennent à une forme obscure. On appelle dans un premier temps la rue du Sanglier d’après la maison que possède la famille Hauwart ou Hauert. Une fois que la famille a disparu, on y voit un mot de la langue courante, soit Hauer qui désigne le sanglier. Il arrive que le sens premier d’un nom se perde vite, comme le montre par exemple la rue du Roitelet. La rue supprimée qui donnait dans la rue Thomann a pris au cours du XVIII° siècle le nom de Gollengasse d’après le propriétaire, Goll, qui possédait une maison à l’entrée de la rue. Dès la fin du siècle, on corrige le nom en Zaunköniggasse, Zaunkönig (roitelet) étant la forme canonique du mot régional Goll (roitelet).
Une fois que les Français se sont installés à Strasbourg après la Capitulation (1681), il devient courant de désigner les rues sous un nom français alors que dans un premier temps les actes en français rapportaient le nom allemand. Au lieu d’écrire dans la rue dite Schlossergass, on trouvera rue des Serruriers – Judengass devient rue des Juifs, alter Weinmarckt vieux marché aux Vins.
La traduction est affaire de compréhension. Or dans beaucoup de cas les noms de rues étaient devenus obscurs aux habitants qui avaient oublié que la rue des Veaux, Kalbsgass, portait le nom d’une famille et non d’un animal. Tout se passe comme si on se trouvait dans une ville francophone de longue date dans laquelle une famille Desveaux aurait donné à la rue son nom qu’on aurait ensuite compris non plus comme rue Desveaux mais rue des Veaux. Les patronymes qui deviennent des mots communs sont fréquents : outre Seidenfaden, Dorn ou Hauert, on citera Knobloch (Knoblochgasse, rue de l’Ail) ou Stampff (Stampfgasse, rue du Foulon dont la partie subsistante est l’actuelle rue Hannong).
Il arrive qu’il soit difficile d’établir le sens ancien d’un mot. La place du Corbeau a pris le nom de l’auberge voisine, zum Raben ou zum Rappen, qui peut aussi bien désigner un corbeau qu’un cheval noir. On a choisi de rendre le mot par « corbeau » bien qu’il soit plus courant que les auberges portent une enseigne qui évoque le cheval.
Liste complémentaire

Noms dans les nouveaux faubourgs

On voit dans les nouveaux quartiers comment apparaissent les toponymes. Une fois que le Marais vert (grüne Bruch) se trouve à l’intérieur des remparts, le quartier suffit à localiser un bâtiment. A mesure que les maisons se multiplient, on voit des noms comme im grünen Bruch beim Geistbrückel (au Marais vert près du pont de l’Esprit) ou beim Hundshoff (près de la cour aux Chiens). De nouveaux noms apparaissent aussi dans les quartiers plus anciens, comme la rue de la Mésange (bey der Meis, près de la Mésange) qui finit par supplanter au XVIII° siècle le nom de Petit marché aux chevaux (kleiner Rossmarck), qualifié de petit pour le distinguer du marché aux chevaux qu’on commence à appeler à la même époque promenade du Broglie.
Les habitudes anciennes avaient davantage pour but de donner des repères que de dénommer les rues. On le constate particulièrement bien pour la rue de la Nuée Bleue dont les maisons étaient localisées jusqu’au XVIII° siècle en se référant au marché aux Chevaux (actuelle place Broglie) ou à l’église Saint-Pierre-le-Jeune. Le nom actuel remonte à une auberge établie près de la promenade du Broglie et sans doute plus anciennement à un nom de personne, Wolkenberg (où Wolke est rendu par nuée).

Noms génériques

Il arrive que de petites rues portent des noms génériques qu’on rencontre dans différents quartiers. Il y avait deux rues de la Cuiller à pot (Kochlöffelgässlein, qui peut aussi se référer à une famille Kochlöffel connue jusqu’au XVII° siècle), une impasse qui donne dans la rue des Chandelles (à l’emplacement de l’actuelle rue des Francs-Bourgeois) et une ruelle au Finckwiller. Des rues étroites étaient aussi appelées Klappergässlein (ruelle du Caquet, dont une subsiste à la Krutenau). La ruelle de la Carpe a aussi été appelée au XVIII° siècle Finsternisgässlein (rue obscure) ou Stimmengässlein (littéralement rue des voix, d’où la traduction en rue de l’écho, et même en rue de l’accord en comprenant Stimme comme Stimmung).
La rue Neuve (Neugass) désignait à la fois une rue qui s’ouvrait sur le quai des bateliers (d’où rue Neuve quai des Bateliers, Neugass am Schifleutstaden, aujourd’hui rue des Bateliers) et une autre sur le quai des Pêcheurs (rue Neuve quai des Pêcheurs, Neugass am Fischerstaden, aujourd’hui rue Prechter).

Evolutions récentes

Les époques récentes ont simplifié certains noms. L’administration prussienne a non seulement corrigé l’orthographe régionale d’après la langue générale en supprimant par exemple le « c » de Finckwiller mais aussi adapté des noms devenus obscurs. C’est ainsi que la rue des Lentilles qui était longtemps restée Linserfelsengasse (rue Linserfels) est devenue Linsengasse (rue des lentilles) ou la Pickergasse (où il faut sans doute voir un nom de famille, Pick) Büchergasse, soit rue des Livres (actuelle rue Adolphe-Seyboth, les premières mentions de Büchergasse apparaissent au XVIII° siècle).

Evénements politiques et noms de rues

La Révolution a renommé, parfois plusieurs fois, les rues pour célébrer les vertus du nouvel ordre. C’est ainsi que la Grand rue devient un temps rue des Jacobins, la rue Sainte-Hélène la rue du Civisme ou la place Saint-Etienne la place Beaurepaire. Comme ces nouvelles dénominations restent le plus souvent des décisions administratives qui n’entrent pas dans l’usage, elles ont pour la plupart disparu assez vite. Les actes notariés donnent l’adresse officielle en l’accompagnant de l’ancien nom (anciennement quartier de Krutenau actuellement quartier de Malignon).

Le XIX° siècle impose le français dans les actes officiels alors que l’administration centralisatrice de Louis XIV et des ses successeurs avait de fait accepté que l’Alsace fût une province française de langue allemande. Les noms officiels sont désormais les noms français qui existaient déjà, les noms allemands restant ceux de l’usage réel. Il arrive au XIX° siècle de rebaptiser des rues comme celle de la Mésange qui devient la rue de la Marseillaise. Le nom disparaît sous l’empire allemand et sera attribué après 1918 à une avenue des nouveaux quartiers construits au-delà des anciens murs.

Le retour à la France en 1918 est l’occasion d’effacer ce qui évoque l’Allemagne dans les noms des rues. La rue des Fribourgeois (Freiburgergasse) devient rue des Francs-Bourgeois, la rue des Souabes (Schwabengasse) rue des Zouaves. C’est dans les nouveaux quartiers que ces remplacements sont particulièrement nombreux : Kölner Ring (boulevard de Cologne) devient ainsi boulevard de la Marne.

L’occupant entre 1940 à 1944 remplace les noms qu’il juge incompatibles avec le nouvel ordre. Il donne à la place Broglie le nom du chancelier lui-même (Adolf-Hitler Platz), à la place Kleber celui de Charles Roos (Karl-Roos Platz) ou à la rue des Juifs celui de la tribu des Maçons (Maurerzunftgasse).


Quelques noms de rue qui perdent leur signification première, pour autant qu’on peut la connaître

  • Bockgasse, rue Bock, traduit en rue du Bouc
  • Brandgasse, rue Brand, traduit en rue Brûlée
  • Brennergasse, traduit en rue des Incendiaires, anciennement Feuergessel, rue du Feu (actuelle rue Frédéric Piton)
  • Dielengasse, rue Diel, traduit en rue des Planches
  • Dornsgasse, rue Dorn, traduit en rue de l’Epine
  • Drachengasse, rue Drach, traduit en rue du Dragon
  • Erbslauben, halles aux pois, devient (XVIII°) Gewerbslauben, halles commerciales
  • Feggasse, rue des Balayeurs, anciennement Viehgasse traduit en rue des Bestiaux, aussi Fechtgasse, rue des tournois
  • Firnkorngasse, rue Firnkorn, traduit en rue du vieux seigle, rendue ensuite par alte Korngasse
  • Freiburgergasse, rue des Fribourgeois, devenue rue des Francs-Bourgeois (XX° s.)
  • Haargessel, traduit en rue des Cheveux, anciennement Horgessergesslin, rue Horgesser
  • Hammengasse, rue du Jambon ou rue des Filets, anciennement Hammangasse, rue Hammann (aujourd’hui rue Calvin)
  • Hauertgasse (rue Hauert) devenue Hauergasse, traduit en rue du Sanglier
  • Heidengasse, rue Heid, traduit en rue des Païens
  • Helenengasse, rue Sainte-Hélène, anciennement Höllengasse, rue de l’Enfer
  • Jungfrauengasse, rue de la Demoiselle ou rue de la Vierge, traduit en rue des Pucelles
  • Kalbsgasse, rue Kalb, traduit en rue des Veaux
  • Kettengasse, rue de la Chaîne, anciennement Kettnergasse, rue Kettner
  • Knoblochgasse, rue Knobloch, traduit en rue de l’Ail
  • Korduangasse, rue des Maroquins, adaptée (XVIII° s.) en Urbansgasse, rue Saint-Urbain
  • Linserfelsengasse, rue Linserfels, devenue Linsengasse, traduit en rue des Lentilles
  • Magnetengasse, traduit en rue de l’Aimant, auparavant Manöckelinsgesslein, rue Manœckelin
  • Nussbaumgessel, rue Nussbaum, traduit en rue du Noyer
  • Ostertaggasse, rue Ostertag, traduit en rue de Pâques
  • Pickergasse, sans doute rue Pick, devenue Büchergasse, rue des Livres (actuelle rue Adolphe-Seyboth)
  • Reibeisen (beim), rue Reibeisen, traduit en rue de la Râpe
  • Saltzmanngasse, rue Saltzmann, aussi rue de l’Homme de sel, comme rue de l’Homme de Pierre rend Steinernen Manns Gasse
  • Scharlachgasse, rue Scharlach, traduit en rue de l’Ecarlate
  • Schildsgasse, rue Schilt, traduit en rue du Bouclier
  • Schwabengasse, rue des Souabes, devenue rue des Zouaves (XX° s.)
  • Seelosgasse, rue Seelos, traduit en rue Déserte
  • Spiegelgasse, rue Spiegel, traduit en rue du Miroir
  • Stampfgasse, rue Stampf, traduit en rue du Foulon (actuelle rue Hannong)
  • Standgasse, rue de l’Etal, auparavant Stanckgesslin, rue des Senteurs
  • Spitzengasse, rue en angle, traduit en rue des Dentelles (Spitze signifiant soit pointe, soit dentelle)
  • Zaunköniggasse, auparavant Gollengasse, rue Goll, nom régional du roitelet, corrigé en Zaunkönig, nom canonique correspondant, et traduit par roitelet (rue donnant dans la rue Thomann, supprimée dans la deuxième moitié du XX° siècle)

Les Maisons de Strasbourg sont présentées à l’aide de Word Press.