Conférence (avril 2014)


Maisons caractéristiques du XVIII° siècle à Strasbourg, conférence donnée le samedi 5 avril 2014 à l’auditorium du Musée d’Art Moderne de Strasbourg dans la cadre des manifestations intitulées Strasbourg au XVIII° siècle, un art de vivre, organisées par l’association Le siècle des Rohan.

Le texte ci-dessous accompagne une série d’images qui seront mises en ligne prochainement.

  1. Le but de l’exposé que j’ai intitulé Maisons caractéristiques du XVIII° siècle à Strasbourg est de voir comment la vogue d’un nouvel art de bâtir se répand dans la ville, des années 1720 à la Révolution.
  2. Les bâtiments se répartissent inégalement dans la ville.
  3. Les maisons répertoriées, actuellement 257, comprennent
  4. les maisons existantes dont le nombre est clos dans le cadre des critères retenus,
  5. et les maisons détruites
    par faits de guerre (siège de 1870, bombardements de 1944),
    opérations d’urbanisme (Grande Percée, assainissement) ou
    souci de rentabilité.
  6. Pour commencer, un bref rappel des principaux éléments d’une façade caractéristique du XVIII° siècle, à partir de la maison bâtie en 1766 pour le marchand de vins luthérien Jean Michel Greiner (19, rue de la Douane et 1, rue du Vieux Marché aux poissons) :
    – chaînages intermédiaires et chaîne d’angle arrondie, à refends
    – bandeaux et cordons moulurés, entre les étages
    – linteaux de fenêtre
    aux étages inférieurs : à angles arrondis, couronnés de petites corniches, à mascarons ou cartouches
    au troisième étage : en segment d’arc, à fausse clé plate
    – appuis de fenêtre, galbés aux deux premiers étages, droits au troisième
    – toit à versants brisés (double pente), à la Mansard
    – arcades marchandes au rez-de-chaussée (atteignent le sol, alors que les arcades boutiquières sont coupées vers le bas chez les artisans)
    – rez-de-chaussée parementé de grès à refends.
  7. Les maisons caractéristiques du XVIII° siècle sont loin de représenter tous les bâtiments construits au cours du siècle. Ces deux maisons voisines quai Saint-Thomas ont été rebâties la même année. Celle de droite, due au banquier réformé Jean Bernard, est une maison « ordinaire » dont seul le portail peut suggérer une rénovation du XVIII° siècle, alors que celle de gauche dont le maître d’ouvrage est Jean Sigismond Weitz relève des maisons caractéristiques.
  8. On y retrouve les chaînages latéraux, les bandeaux et les linteaux en arc. L’oriel, surmonté d’un balcon à la française, est un héritage de l’ancienne manière de bâtir.
  9. On peut distinguer divers types de bâtiments.
  10. (1) L’hôtel particulier, défini comme un ensemble cohérent de bâtiments autour d’une cour, par exemple l’hôtel que le préteur royal François Joseph de Klinglin fait bâtir sur l’ancien chantier des maçons à partir de 1733.
  11. (2) La maison, c’est-à-dire la reconstruction totale d’un bâtiment, comme ici la maison du marchand luthérien Jean Thierry Fahlmer, 8 quai Saint-Nicolas (souvent appelée du nom de son précédent propriétaire, Jean Jacques de Müllenheim).
  12. (3) La façade qui est très souvent le seul élément rénové en conservant l’ancien bâtiment à l’arrière. La maison du boulanger catholique Antoine Voinson, construite en 1776, a une façade XVIII° sur la Grand rue mais un encorbellement en pans de bois sur la rue de l’Argile.
  13. (4) L’élément caractéristique se limite parfois à une porte ou un portail,
  14. comme celui du 7 rue Saltzmann, dû à l’aubergiste catholique François Charles Lafermière.
  15. Nous allons maintenant suivre l’art de construire au fil du temps, en partant du début des années 1720
  16. qui connaît la vogue des motifs à la Bérain, ici ceux que fait faire en 1722 le marchand luthérien Jean Kornmann sur les montants de son portail.
  17. Ces motifs se retrouvent sur le portail de la maison du marchand luthérien Jean Frédéric Bemberg, 11, rue de l’Epine. Construite en 1720, c’est le premier exemple de bâtiments en fer à cheval autour d’une cour.
  18. C’est à partir de 1725 que le Grand doyen du Grand chapitre de la cathédrale, le prince Frédéric Constantin de la Tour d’Auvergne, fait construire le premier bâtiment au goût français, de style appelé Régence, sur la cour de Hennenberg, entre la rue du Parchemin et la rue Brûlée (actuel palais de l’évêque). La partie centrale du bâtiment est surmontée d’un fronton triangulaire. Le toit a une double pente à la Mansard.
  19. La maison que fait construire en 1737 le marchand luthérien Jean Schubart au 9, rue de l’Epine, relève du nouvel art de construire. Les courbes du portail ont cependant un style baroque, il subsiste aussi des motifs à la Bérain.
  20. Sur la maison que fait bâtir le marchand catholique Claude Tourni en 1739, les linteaux des fenêtres comportent des mascarons, Le maître d’œuvre est Jacques Gallay (catholique, originaire de Fribourg en Suisse). Les trois grandes arcades marchandes du rez-de-chaussée sont surmontées d’un balcon.
  21. La mode des balcons courants tout le long de la façade date des alentours des années 1740,
  22. comme celui de la maison du marchand de vins luthérien Jean Michel Demuth à l’angle de la rue d’Austerlitz et de la rue des Bouchers, en 1742.
  23. Le conseiller du Roi catholique Jean Georges Horrer fait construire une nouvelle maison au 15, rue de l’Arc-en-Ciel en 1741. Le rez-de-chaussée comporte un portail et deux fenêtres entièrement garnies de ferronneries. Les fenêtres des étages comprennent chacune un garde-corps et des mascarons. On connaît assez bien le déroulement des travaux par les nombreux différends qui ont opposé le maître d’ouvrage et ses entrepreneurs successifs.
  24. L’année 1744 est celle où le courtier luthérien Jean Daniel Ehrmann construit le 3, quai au Sable. Le linteau des fenêtres n’est plus en segment d’arc mais a des angles arrondis. On voit en outre, au-dessus du linteau, une moulure qui est reliée par un segment horizontal à la moulure du linteau voisin. C’est le début d’un style connu sous le nom de rococo, alliance d’une manière française et d’une manière germanique.
  25. Le brossier luthérien Jean Paul Thalwitzer fait bâtir au milieu du siècle une petite maison à deux travées et trois étages rue du Vieil Hôpital. Les fenêtres sont en arc de cercle à clés plates. Comme dans beaucoup de maisons, le rez-de-chaussée a été refait à la fin du XIX° siècle, en même temps que celui de la maison voisine.
  26. L’abbaye de Neuwiller fait construire en 1751 son hôtel par le maître d’œuvre Jacques Gallay. La moulure ondulée est particulièrement nette au-dessus des fenêtres du premier étage, de part et d’autre de la partie centrale surmontée d’un fronton. Le bâtiment a été démoli au début du XX° siècle.
  27. Le perruquier catholique Jean Georges Fulgraff fait construire en 1755 une maison à linteaux en angle arrondi, dont la fenêtre centrale du premier étage comporte un balconnet.
  28. Le revendeur catholique Pierre Labelly fait construire en 1758 sa maison au 8 rue des Echasses. La porte de gauche a été ajoutée ultérieurement. Toutes les fenêtres des étages comprennent un garde-corps en ferronnerie.
  29. Le brasseur luthérien Jean Schreibeissen fait construire en 1759 une maison à l’entrée de la rue des Bouchers. Lors de la construction de l’hôtel du Rhin, elle est démolie au milieu du XIX° siècle et une partie remontée rue des Cheveux. Cette translation, signalée par Adolphe Seyboth dans son ouvrage, est corroborée par les initiales JSCH sur le cartouche.
  30. Une des rares maisons caractéristiques du XVIII° siècle à la Krutenau a été bâtie en 1760 par les bouchers Jean Michel Klein et Jean Valentin Schneegans. Elle a été détruite par les bombardements de 1944.
  31. Chrétien Frédéric Dagobert Waldner de Freundstein, luthérien, fait construire en 1763 sa maison 17, rue des Charpentiers dans un style antiquisant qui écarte les ornements. Une frise à décor géométrique remplace le bandeau au-dessus du premier étage.
  32. La même année, le notaire Jean Frédéric Lobstein fait faire une porte surmontée d’un oculus dans une manière baroque. Le cartouche asymétrique indique la date de construction.
  33. Le maître maçon Jean Michel Starck construit en 1764 sa maison au 79, Grand rue (souvent appelée maison Ferrier, propriétaire de 1776 à 1796). Les fenêtres du premier étage sont rectangulaires, celles du deuxième étage ont des angles arrondis. Les travées sont séparées par des pilastres. La corniche au-dessus du deuxième étage donne un mouvement baroque à une façade qui comporte de nombreux traits classiques.
  34. Les 32 et 34 rue du Vieux Marché aux poissons, réunies par un même propriétaire au cours du XIX° siècle, formaient auparavant deux maisons distinctes. Elles ont été reconstruites en même temps par le gainier Jean Bleyfuss et le pelletier Jean Michel Schauer du fait que le mur entre leurs maisons était mitoyen.
  35. Le sellier carrossier catholique Jean Baptiste Choisy reconstruit en 1765 au 126 Grand rue sa maison à neuf travées, les trois du milieu en légère saillie sont garnies d’un balcon. Les élévations de 1830 montrent que le troisième étage a été rajouté ultérieurement.
  36. Nous sommes en 1765, date à laquelle l’architecte Jacques François Blondel établit un plan d’urbanisme en proposant de nouveaux alignements : les parties à détruire sont lavées en jaune, celles à construire en rose. On peut constater ce qui a été réalisé en comparant les propositions de Blondel au plan cadastral de 1838, ici place de la Cathédrale.
  37. Le nouvel alignement y a été réalisé entre 1766 et 1772. Sept maisons à deux travées chacune ont été bâties par des artisans. Les trois maisons occidentales (actuelle librairie Gangloff) ont été détruites par les bombardements de 1944, en particulier celle du fripier catholique André Haiflé et du serrurier luthérien Jean Chrétien Schulterer. Au premier plan, la maison d’angle à deux travées, construite par le serrurier catholique Jean Michel Sultzer.
  38. Certaines maisons reconstruites en suivant le projet de Blondel, assez vite tombé en désuétude, dépassaient l’alignement comme le 4 rue du Finkwiller, construit en 1767 par le marchand luthérien Jean Daniel Saum. Elle a été démolie en 1935 pour élargir la rue.
  39. Le capitaine Claude Rend de Purgerot de Wardener fait construire en 1767 au 27 rue des Juifs une maison dans le goût Régence des premières constructions. L’avant-corps central légèrement saillant est surmonté d’un fronton.
  40. Plusieurs propriétaires reconstruisent entre 1768 et 1770 leur maison rue de la Mésange d’après un alignement légèrement en avant de l’ancien : l’orfèvre luthérien Jean Michel Merckel, le tonnelier luthérien Laurent Brucker et le passementier luthérien Jean Michel Redslob,
  41. dont la maison comporte des mascarons et une mésange accompagnée du texte ZUR MAIS GE NANT, nommée à la Mésange.
  42. Le tailleur de pierres catholique Jean Jacques Bressel construit en 1768 sa maison au 21 rue de l’Ecrevisse. Elle est démolie en 1971 lors du « projet de rénovation urbaine de l’Ilot Broglie ».
  43. Le luthérien Jean Jung reconstruit en 1769 la façade de la boulangerie Zum Bären, à l’Ours, d’où l’animal sculpté qui porte un bretzel. Les linteaux aux deux étages inférieurs sont ornés de mascarons.
  44. Toujours en 1769, le chiffonnier luthérien Jean Jacques Klein fait reconstruire la façade du 27, rue du Jeu-des-Enfants. La maison a été démolie en 1968.
  45. Au 4 rue de l’Epine rebâti vers 1769, les ferronneries aux fenêtres centrales du premier étage portent les initiales CW du maître d’ouvrage, l’aubergiste luthérien Christophe Würtz.
  46. Le vitrier luthérien Jean Kieffer fait reconstruire en 1773 le 6, rue des Chandelles par le maître maçon Jean Lingenhœle. La maison sera démolie en 1919, peu après la Grande Percée.
  47. Le maître maçon Michel Nagel réalise en 1776 une façade simple pour le marchand luthérien Jean Jacques Dieterlin au Finckwiller, 9, rue Saint-Marc.
  48. Le même Michel Nagel reconstruit en 1784 le 91 rue des Grandes Arcades pour le marchand luthérien Wolffgang Auguste Bader. Le Cahier d’architecture que publie l’architecte Pierre Michel, dit Michel d’Ixnard, apprend qu’il en a donné les plans. La maison a été détruite par les bombardements en 1944.
  49. Le petit hôtel au 8, rue du Dôme, dû au chanoine François Charles Joseph de Hohenlohe Waldenbourg Schillingsfürth, clôt la série de constructions XVIII°. Il n’est pas encore terminé quand il est vendu comme bien national. Son architecture relève d’un retour aux canons classiques, comme le montrent les fenêtres rectangulaires.
  50. Le parcours chronologique a permis de voir que les maîtres d’ouvrage modestes devenaient de plus en plus nombreux et que la répartition entre luthériens et catholiques correspond à celle de la ville.
  51. Tous les maîtres d’ouvrage ne sont cependant pas des bourgeois. Le 18 rue Hannong a été construit en 1771 pour un manant catholique, le matelassier Jean Mantelatz. La photographie centrale montre la maison et ses voisines vers 1911, celle de droite l’état actuel.
  52. Le cocher réformé Jean Jacques Altorff fait bâtir le 8 rue Brûlée en 1772 par le maître d’œuvre Philippe Jacques Wolff.
  53. La manière en vogue se prête à de nombreuses variations. On a vu que le maître d’ouvrage peut reprendre des traits qui relèvent de styles différents.
  54. Le menuisier Jean Henri Buggeli fait construire en 1783 une maison à chaînages, à bandeaux et à linteaux en arc mais la surmonte d’un étage à pans de bois.
  55. Des éléments authentiques sont parfois remployés sur des façades anciennes comme au 2, Petite rue de la Grange. Vers 1911 (à gauche), la maison ne comporte pas encore les éléments comme les emblèmes de métier ou les mascarons qui doivent provenir de maisons détruites lors de la Grande Percée des années 1910.
  56. La façade à linteaux à angles arrondis du 9, rue Kageneck ne se trouvait pas à cet endroit en 1830 comme le montrent les élévations pour le plan-relief de 1830. On peut supposer qu’elle a y été montée après le siège de 1870.
  57. Les mêmes élévations permettent de constater que le poêle des Bateliers, reconstruit en 1772, ne comportait qu’un étage surmonté d’un fronton en 1830. Le dessin mis à jour en 1860 représente l’état actuel, après que les étages ont été construits à la manière du XVIII° siècle.
  58. Le XIX° siècle a continué à adapter la manière en vogue au siècle précédent, comme ici la maison que le boulanger Jean Adam Zwicker fait construire vers 1820 au 9 Faubourg de Pierre. Les chaînages latéraux sont remplacés par des décors géométriques verticaux. La maison voisine a été construite en 1778 pour le brasseur luthérien Abraham Fischer.
  59. Ce rapide parcours chronologique parmi les constructions caractéristiques du style XVIII° siècle repose sur des données dont certaines sont présentées sur le site des Maisons de Strasbourg. On trouve en particulier à la rubrique « Articles » une liste des maisons et un exposé sur les dates de construction.
    Je vous remercie de l’attention que vous avez portée aux maisons XVIII° siècle à Strasbourg. Je réponds volontiers à vos questions, dans la mesure de mes connaissances.

Questions des auditeurs

La religion des maîtres d’ouvrage
Elle ne semble pas être un critère décisif, ce qui confirme que l’architecture en vogue se répand partout dans la ville.

Les architectes
Les données disponibles permettent souvent de connaître les maîtres d’œuvre, c’est-à-dire les entrepreneurs (maîtres maçons) qui ont construit une maison. L’architecte au sens contemporain du mot qui donne des plans sans être entrepreneur est rare au XVIII° siècle. On a cependant vu (image 48) un exemple où on connaît par des sources différentes à la fois un entrepreneur et un architecte.

La datation des maisons
Il y a plusieurs manières de connaître les dates de construction, notamment les registres des directeurs fonciers (Bauherren), les obligations passées pour couvrir les frais de construction ou les estimations établies pour évaluer un bâtiment lors d’un inventaire après décès quand elles forment une série, comme par exemple le 11 rue de l’Epine (voir la fin de l’introduction aux Maisons à l’architecture caractéristique du XVIII° siècle).


Les Maisons de Strasbourg sont présentées à l’aide de Word Press.