Martin, Le Maistre d’armes. Dédicace et préface


LE MAISTRE D’ARMES
OU
L’ABRÉGÉ DE L’EXERCICE DE L’ÉPÉE
Démontrée par
LE SIEUR MARTIN
MAISTRE EN FAIT D’ARMES
DE L’ACADÉMIE DE STRASBOURG
ORNÉ DE FIGURES EN TAILLE DOUCE

A STRASBOURG
Chez, l’Auteur, au Poël des Maréchaux
ANNÉE MDCCXXXVII

A MONSIEUR DE KLINGLIN,
CONSEILLER DU ROY
EN SES CONSEILS, CHEVALIER D’HONNEUR ET D’ÉPÉE AU CONSEIL SOUVERAIN D’ALSACE, PRETEUR ROYAL DE LA VILLE DE STRASBOURG, &c.

MONSIEUR
Comme c’est à l’honneur de Votre protection, que je dois mon établissement dans cette Ville, il est de mon devoir de Vous rendre de continuels hommages ; Je ne puis dans la simplicité de mon état plus convenablement m’en acquitter, qu’en Vous suppliant d’agréer la foible production de mon génie que je prends la liberté de Vous présenter.
Je n’ai, MONSIEUR, la présomption de croire que l’ouvrage que j’offre à vos yeux soit digne de Votre attention, qu’autant que je crois pouvoir me flatter qu’il sera de quelqu’utilité à Monsieur Votre Fils, ainsi qu’à toute la Noblesse à laquelle j’ai l’honneur d’enseigner.
Peu versé dans l’art oratoire, je n’entreprendrai point de chanter vos loüanges. Je laisse à ceux qui sçavent manier les foudres de Demosthènes l’honorable avantage d’aprendre toute la France, avec quelle force, avec quelle étenduë d’esprit, Vous accordez la probité la plus scrupuleuse à la politique la mieux cimentée, & la plus sage. Ce sont les favoris d’Apollon qui doivent faire retentir les airs de l’éclat de Vos vertus, & de Vos talens. C’est aux favoris des muses à publier la protection judicieuse que Vous accordez à tous les beaux arts.
Pour moi, MONSIEUR qui n’habite point les rives d’Hypocrêne, je ne m’élèverai point au-dessus de ma Sphère, & je me regarderai comme le plus parfaitement heureux des hommes, si satisfait de mon zèle, Vous voulez bien m’accorder la continuation de Votre Bienveillance, de laquelle je tacherai de me rendre digne, moins à la vérité par les secours de mes talens personnels, que par l’ardeur de mon attachement à mon ministère dans la Personne de Monsieur Votre Fils, auquel j’ai l’honneur d’enseigner l’exercice des armes. Je suis avec un très-profond respect
MONSIEUR
Votre très-humble et très-obéissant Serviteur
MARTIN.

AVIS AU LECTEUR.

L’Art de tirer des armes est sans doute un des plus nobles, & des plus utiles de tous les exercices, & celui par lequel un jeune homme acquiert plus de souplesse, d’agilité, de force, et de bonnes grâces, Cet art apprend à se servir de son épée avec assez d’adresse pour pouvoir deffendre sa vie contre ceux qui y veulent attenter.
C’est tort que des personnes dont l’esprit inquiet & bizarre se plaît à contredire ce qui a le plus d’évidence, veulent insinuer que celui qui par une experience d’une partie de sa vie, s’est acquise la pratique la plus consommée, dans cet exercice, peut-être frappé par celui qui n’en a pas la plus foible Théorie ; & que consequemment c’est un art inutile à la jeunesse, qui doit ménager son tems, pour s’appliquer, à des sciences plus proportionnées à son éducation. Je ne combattrai point un raisonnement si captieux, & qui tombe à la plus simple réflexion, d’autant que quelques faits particuliers, & dont souvent on soustrait les causes accidentelles, ne militent point contre ce qu’une expérience de tous les tems nous démontre, & ce que le bon sens nous inspire.
Il est d’une notoriété reconnüe, que l’exercice des armes est pratiquée dans toute l’Europe ; je dis plus, toutes les Nations même, les moins civilisées s’appliquent journellement à parvenir aux moyens d’acquérir l’art & la pratique de se deffendre contre l’ennemi qui les provoque, ou d’attaquer celui qui les offense : la simple raison conduit à cette proposition.
Les Grecs, & surtout les Atheniens, exerçoient leurs enfans dès leur tendre jeunesse, dans l’exercice de l’épée, pour paroître dans les jeux olympiques : tout le monde sçait qu’ils ont été institués par Hercules en l’honneur de Iupiter : Ils les celèbroient tous les quatre ans, auprez d’Olympie ville d’Élide : ces jeux devinrent depuis si célèbres, que la Grèce en fit son Epoque, pour compter les années qu’on appelloit Olympiades ; & ceux qui remportoient les prix étoient tellement honorés, que quand ils retournoient dans leur patrie, on abattoit un pan de murailles, pour les faire entrer sur un chariot dans la ville, la tête ornée d’une couronne de Lauriers.
L’histoire Romaine nous apprend que le combat singulier entre les Horaces, & les Curiaces a terminé une guerre ; qui a duré très long-temps entre les Romains & les Albins.
Mais sans aller creuser si loin dans l’antiquité, il suffit de se représenter ce qui se passe encore de nos jours à Toulouse.
C’est depuis un tems prèsqu’immémorial, qu’il se propose dans cette ville deux prix chaque année à jour & lieu indiqué par la datte de leur Institution, aux aspirans qui venants de toutes parts, y font des armes avec la plus grande adresse : la prudence des statuts établis pour bien connoître l’état & la capacité des aspirans, & pour y contenir le bon ordre, la nombreuse & illustre assemblée qui prend part à ce spectacle, les sages précautions que l’on prend pour deferer avec une entiére connoissance, l’une & l’autre palme aux vainqueurs, les differens combats, témoins parlans de la capacité de ceux qui remportent le prix proposé, enfin les attributs honorables attachés à la victoire, sont des monumens respectables, & dans leur nature, & par leur antiquité, qui démontrent combien on fait de cas de cet exercice dans toute la province du Languedoc dont Toulouse est la Capitale.
On se servait autrefois de l’Epée bien differemment qu’aujourd’hui : Le premier usage fut l’Epée & le bouclier : Le second l’Epée & cape : Le troisième étoit l’Epée & poignard : ce dernier est encore en usage en Italie, & en Espagne.
De toutes les nations qui pratiquent cet art, il est constant que s’il n’est pas dans le degré de perfection où il pourroit être : Les François sont ceux qui en ont approché de plus près.
A l’égard des attitudes que j’ai exposé aux yeux de mon Lecteur, pour rendre mes demonstrations plus sensibles, je n’ai fait graver que les plus essentielles, lesquelles seroient à la vérité moins imparfaites, si j’avois possedé l’art de la gravure, & que je l’eus pratiqué par moi-même.
I’ai cru inutile d’exposer les figures des gauchers, parce que j’aurais multiplié les estres sans necessité, puisque retournant la feuille, & regardant la planche du côté du folio verso, la figure des droitiers gravée folio recto se trouve être la gauche desdits droitiers.
Il ne me reste plus qu’à représenter très-humblement à mon Lecteur, que l’idée dans laquelle j’ai composé ce Livre, n’a point été celle de l’orner par une diction élégante. Ie ne suis rien moins qu’orateur : je l’avoüe avec tout le respect que je dois à l’auguste vérité : j’écris uniment, simplement, dans la seule intention de remplir la matiere que je traite, & d’en rendre l’execution plus breve, plus facile que je n’ai crû la voir dans la plupart des auteurs, qui ont écrit sur cette matiere.


Les Maisons de Strasbourg sont présentées à l’aide de Word Press.