Mémoire anonyme (Klinglin)
Résumé
Le préteur royal a été emprisonné mais les seuls coupables sont ses délateurs qui « ont conspiré contre sa dignité et contre sa personne, et pour assurer leurs projets ».
(1) Administration du préteur royal
Le rôle du préteur royal qui doit contenir une tradition de liberté, régler les dissensions entre catholiques et luthériens, assurer la sûreté dans une ville frontière. En 1726, le Cinquantième est remplacé par un abonnement, en 1736 le dixième par un nouvel abonnement, en 1750 le Magistrat accepte le Vingtième. Le préteur royal fait construire des casernes, fait acheter en 1730 l’hôtel du Commandant, en 1732 celui de l’Intendance et fait ajouter en 1734 trois bâtiments au palais épiscopal. Il a entretenu des correspondances utiles au-delà du Rhin (p. 13).
Le préteur royal a non seulement soutenu les intérêts du roi mais aussi ceux de la ville (p. 14) en soutenant l’intérêt général contre les intérêts particuliers. Il n’a put gouverner la ville pendant 27 années que par ses connaissances et sa sagacité. Le roi accorde sur le témoignage des ministres la survivance de sa charge à son fils en 1745. « C’est cependant dans ces années mêmes ratifiées par les bienfaits de votre Majesté, qu’il est accusé d’avoir négligé vos intérêts et de s’etre rendu coupable de la même négligence envers la Ville. » (p. 18).
(2) Division entre le Magistrat et le préteur royal – Le Magistrat se compose presque uniquement d’hommes « livrés aux préjugés les plus dangereux ». Il institue en 1748 la chambre d’économie qui s’oppose aux fermes établies par le préteur royal à l’instar de ce qui se pratique ailleurs. La ferme supprimée par la chambre d’économie produisait un meilleur revenu. (p. 24). La ferme du bois (p. 26) et celle du suif (p. 24) ont elles aussi été supprimées. La division s’accroît dans le Magistrat, notamment dans l’affaire des appointements (p. 28) puis lors de la proposition d’introduire l’alternative à l’université en 1751 (p. 29). La division prend la forme d’une conjuration, les factieux tiennent des repas. Ils ont pour chefs les préteurs Faber, Faust et de Gail (p. 32). La Chambre d’Economie qui n’avait attaqué que ce qu’avait institué le préteur royal a voulu empêcher tout nouvel établissement et même empêcher le préteur royal de prendre part aux différents Conseils (p. 36).
(3) Commission établie par le roi – « Le scandale de la division du préteur et du Magistrat n’était plus renfermé dans la Ville de Strasbourg. les fuites en parurent dangereuses à vostre Majesté, et elle jugea necessaire de s’instruire par elle même de l’état des choses » (p. 37) en envoyant un commissaire. Le préteur royal apprit cependant que l’intendant de Sérilly a pris part à la nomination du commissaire d’Esnans qui est son obligé (p. 39) et qu’il ne désapprouve pas les discours séditieux (p. 41). L’enquête, au lieu de se limiter aux affaires de la ville qu’il s’agissait de rétablir, s’est égarée dans l’administration du préteur royal (p. 44). Il s’est agit de « rechercher les gratifications que le Sieur de Klinglin avoit reçu par le droit de sa charge depuis vingt-sept années ». On a été jusqu’à prétendre que des gratifications avaient été remises au ministre d’Argenson (p. 47). La famille du préteur royal souffre de l’ingratitude générale.
(4) Délations contre le préteur royal.
(a) La gratification qui aurait été remise au ministre d’Argenson repose sur des témoignages non crédibles.
(b) Le préteur royal aurait épuisé les finances de la ville (p. 64) mais les registres montrent que les recettes ont augmenté depuis qu’il est entré en fonction (p. 65).
(c) Les gratifications volontaires sont liées par la coutume à sa fonction (p. 67). Ces présents sont en outre nécessaires pour financer le service du roi (p. 72).
Les abus dans l’administration de la ville ne seront jamais mieux réformés que par le préteur royal qui connaît le mieux la cause de ces abus (p. 76).
Mémoire au Roy pour le S. de Klinglin Conseiller d’Etat Preteur Royal de la Ville de Strasbourg
V.C.G. Corp. F. Lad 13. fas. 1 N° 3
Sire
Le S. de Klinglin detenû par les ordres de vostre Majesté dans la Citadelle de Strasbourg a subi pendant deux mois de la plus dure Captivité, un genre d’instruction propre à allarmer l’innocence même. C’est apres cette instruction consommée que la dame de Klinglin sa femme, neuf enfans, et toute sa famille attachée dans la Robe et dans (p. 2) l’Epée au service de vostre Majesté osent aprocher du throne Et que demande cette famille entiere dans la desolation ou elle est reduite ?
Si le Preteur de Strasbourg etoit coupable, sa famille reclameroit, Sire, cette clemence, dont vos ennemis même ont ressenti plus d’une fois les effets. des services importans rendus dans le Cours d’une longue administration meriteroient peut être une grace. mais, Sire, c’est d’une autre de vos vertus, c’est à cette vertu severe, qui n’admet dans le Conseil des Roys ni grace ni clemence, c’est a vostre justice que tant de voeux sont adressés.
Ouy, Sire, il n’y a de Coupable envers vostre Majesté que les delateurs du Preteur Royal. ils ont conspiré contre sa dignité et contre sa personne, et pour assurer leurs projets, ils luy cherchent des Crimes dans toutes les parties de son administration. Daignés donner a sa deffense quelques instants de l’attention que vous n’avez jamais refusée au moindre de vos sujets et bientôt vostre majesté sera convaincue que le sieur de Klinglin, dans les fonctions politiques de son ministere, ne s’est attaché qu’a concilier vos interets avec les interets toujours opposés de la Ville de Strasbourg. Si l’on ose encore luy imputer des crimes d’un autre genre, c’est toujours l’ouverage de la calomnie : ce sont des faits inventés, des circonstances alterés, des motifs empoisonnés : et par quelle voye même cet amas scandaleux de delations se trouve-t’il aujourd’huy rassemblé contre luy ? c’est à l’ombre d’une instruction commandée par vostre Majesté uniquement sur les affaires de la Ville de Strasbourg.
Mais souffrez, Sire, que dans cette multitude d’Evenemens, qui presentent des interrêts publics et des faits particuliers, qui annoncent des accusations graves et des plaintes plus graves encore contre les accusateurs, on distingue les objets. Le premier est l’administration même du S. de Klinglin dans toutes des parties de son Gouvernement.
1° Objet, administration du Préteur
La dignité de Preteur Royal de la Ville de Strasbourg, Sire, a toujours été un objet de jalousie, et dans ces derniers tems (p. 4) il semble qu’on ait formé le dessein d’en restreindre les prerogatives, ou plus tost d’aneantir la dignité même. mais quels que soient les pretextes des Ennemis du S. de Klinglin, peuvent-il meconnoitre l’importance de sa place, pour les interêts même de vostre Majesté ?
Vous le scavez, Sire, c’est en 1681 que la Ville de Strasbourg, libre alors, se soumet à l’obeissance de vostre auguste bisayeul. Ce Prince, par la Capitulation, conserve à la Ville ses privileges, accorde un libre exercice de Religion, affranchit les habitans de tout impot, il leur laisse les droits ordinaires et extraordinaires, il maintient enfin le Magistrat dans l’Etat dont il jouissoit alors : et alors, Sire, le Magistrat de Strasbourg reunissoit toutes les parties du Gouvernement, la Justice, la Religion, les finances, le Commerce, la police.
Cependant dans ce changement de domination, et sans porter atteinte aux privileges conservés, il devoit s’établir entre le Roy et ses nouveaux sujets cette Correspondance ordinaire de protection et de tributs, qui forment les liens de la dependance. mais il etoit à craindre que des privileges mal entendus ne fussent souvent mal intreprettés, et quelque fois aussi que des droits, qui ailleurs n’ont point de bornes, n’entreprissent à Strasbourg sur des privileges réels. c’etoit du zêle et de l’intelligence des mediateurs que dependoit la tranquilité publique, et pour eviter les divisions, qui auroient pû naitre entre l’homme du Roy et l’homme de la Ville, il parut necessaire que ce double et noble Employ residat sur la même tête.
C’est, Sire, ce concert de l’esprit de l’ancienne liberté avec l’esprit de la soumission, c’est cette connoissance profonde d’interets opposés, ce zele impartial, en un mot ces talens si rares de la negociation que la politique du feu Roy se proposa de reünir dans la charge de Preteur Royal ; charge unique sur le Royaume, et dont les memes circonstances prouvent encore aujourd’huy la necessité indispensable dans la Ville de Strasbourg.
(p. 6) Premierement, Sire, cette tradition de liberté s’étant conservée dans les esprits, la Ville n’ecouteroit qu’avec beaucoup de defiance ce qui luy seroit annoncé par tout autre que par l’un de ses concitoyens.
Secondement la religion soulevant sans cesse les Catholiques et les Lutheriens il faut pour étouffer, pour prevenir les dissentions, que le Chef s’assure d’un credit egal dans les deux parties, quoiqu’il soit opposé necessairement au party Lutherien.
Troisiemement La Ville de Strasbourg etant une ville frontiere, dont le Calme doit repondre à votre Majesté de la sureté d’une grande Province, un point Capital est d’y maintenir, au milieu des Religions differentes souvent d’affections étrangeres le seul amour de votre domination.
Telle est, Sire, La dignité que le feu Roy, ce Monarque si scavant dans la connoissance des hommes et des Employs, érigea en 1684 dans la Ville de Strasbourg. Le Preteur Royal preside aux Chambres qui composent le Magistrat. Les assemblées ne peuvent être provoquées sans sa participation. c’est à luy a notifier vos ordres et à les faire executer. voilà les fonctions auxquelles la famille du S. de Klinglin a voué depuis lontems son repos et sa fortune : c’est dans cet exercice si penible qu’avoit vieilli un pere vertueux, c’est à cette destination que le fils étoit appellé et il est entré dans la Carierre en 1725.
Epoque heureuse, Sire, où le mariage de vostre Majesté rasembloit à Strasbourg, aupres de la reine, les Princes et les Princesses de vostre sang, les Grands du Royaume, ceux de l’Empire, et pour ainsy dire les Nations. Là le Sieur de Klinglin, aux yeux de tant de spectateurs, qui reunissoient le goût de l’Europe entiere, satisfit à des fetes et a des spectacles dont le souvenir se conserve encore. mais au milieu des applaudissemens il ne fut sensible qu’à la joye d’annoncer son zelle dans un Evenement qui regardoit la personne de vostre Majesté.
Bientost, Sire, ce zele fut mis a des epreuves difficiles, et si c’est dans ces épreuves mêmes qu’on luy cherche aujourd’huy des Crimes, la difficulté des négociations et l’importance (p. 8) des succés doivent decider entre le Preteur royal et ses Ennemis.
Dés l’année suivante 1726 vous demandates le 50e. le Magistrat de Strasbourg cherchoit dans l’article 6 de la Capitulation un titre pour s’en affranchir, la Ville qualifiait l’impost de nouveauté. elle repetoit que le 10e de 1711 n’avoit pas penêtré à Strasbourg, et comment balancer les suffrages d’une Compagnie, où chacun a ses interets, sa politique, sa Religion, ses préjugés. dans cette Compagnie, Sire, le Preteur Royal n’a qu’une voix sur 53. alors ce n’etoit encore que la seconde année de son administration, et les Citoyens etoient attentifs a ses premieres demarches, le S. de Klinglin osa proposer a vostre Majesté un leger changement dans la perception du droit, un abonnement, au lieu d’une imposition, et vous agreates, Sire, une somme de 100.000 lb pour tenir lieu de 50e.
En 1736 le dixieme fut etabli, nouveaux debats à Strasbourg. Si le droit devoit paroitre moins nouveau, aprés l’abonnement du 50e son importance aussy indisposoit davantage. il falut laisser eteindre une premiere chaleur calmer les esprits dissiper les allarmes, et le S. de Klinglin se chargea ensuite des propositions. dans le Magistrat, il fit valoir la conduite tenüe pour le 50e au Conseil de vostre Majesté il invoqua la condescendance qu’elle avoit eüe pour une ville jalouse à l’Exces de ses privileges. vous luy permites encore de s’abonner et il fut porté a vostre Thresor 300.000 lb en 1742 et 1745. l’abonnement est monté jusqu’a 360.000 lb et enfin en 1750 la Ville et le Magistrat, convaincus par les soins du Preteur Royal, que le Vingtieme et les droits de cette nature n’etoient pas contraires a leur Capitulation, se sont soumis non à un simple abonnemnent, mais à l’imposition même du 20e, en sorte que ces droits si pretieux pour les finances de vostre Majesté, ces droits dont la compatibilité reconüe avec les privileges des villes conquises, peut entrainer des consequences si vutils*, sont regardés aujourd’huy a Strasbourg du même œil que dans les autres Provinces où ils ont toujours été reçus.
Cependant, Sire, on ne peut trop le remarquer, dans ces assemblees tumultueuses, où les demandes de vostre Majesté sont discutées le Preteur Royal n’a qu’une voix, mais il est un art de manier les esprits, en interessant les caracteres, les sentimens, les passions (p. 10) art plus puissant que la force et les loix, dont les lecons n’existent pas, et que la fidelité, le zéle et l’application peuvent seuls inspirer.
C’est cet art auquel est dû le succés d’un projet non moins important, on veut dire le logement d’une Garnison nombreuse, toujours si necessaire dans Strasbourg. ce projet fut mis en deliberation les uns croyoient voir que l’utilité de la garnison ne regardoit pas immediatement la ville, les autres osoient le dire hautement, et ils le persuadoient a leurs concitoyens : avant le Pretoriat actuel il n’y avoit que des hutes pour les soldats aujourd’huy les casernes de la porte des bouchers rehausées et agrandies sont affectées à l’artillerie. on y a joint un nouveau batiment et (de) la depense entiere en a estée epargnée à vostre Majeste. en 1738 le S. de Klinglin assura le logement du premier ayde major de la place. arresté, apres le siege de Kehl, par les inondations du Rhin, il fit entreprendre cet epy fameux dont la depense est si considerable, et comment fut elle partagée : les forets et les Isles de la Ville fournirent les fascines et les autres matereaux, et elle paya encore 250.000 lb de travaux en 1741. le Preteur Royal reprit le projet des logemens, et la Courtine des Juifs fut construite a grands frais pour les officiers de la Garnison. l’année suivante 1742. Le Lieutenant du Roy obtient le sien en 1750. l’attention est étendue jusqu’a celuy du Major en survivance, et cette année même les dernieres solutions sont prises, pour achever le Corps de la finckmatt destiné a deux Battaillons et a leurs officiers. ainsy ce projet, que la Ville et le Magistrat n’ont jamais regardé comme utiles a leur egard, projet toujours combattu, quelquesfois interrompû, se trouve executé enfin sur les seuls fonds publics, c’est peu de dire Executé, la Ville encore s’est chargée des soins de l’Entretien.
Et Combien, Sire, dans les cours des mêmes années, le S. de Klinglin a t’il consommé d’operations par les mêmes moyens ? la negligence du garde de vos grains en Alsace les avoit fait manquer en 1727. vous desirates que la ville de Strasbourg en fit le remplacement, cet objet étoit essentiel pour votre service et de plus (p. 12) de 320.000 lb, le preteur Royal essuya encore des contradictions et des delais, mais vostre Majesté n’eprouva point de refus. c’est ainsy qu’il paraissoit convenable que le Commandant de la Province, l’Intendant, et l’Eveque trouvassent à Strasbourg les avantages dont ils jouissent ailleurs. mais l’Intendant et le Commandant portent a Strasbourg un Caractere qui ne se concilie pas universellement la faveur : à l’Egard de l’Eveque, s’il a des partisans parmi les catholiques, le party des Lutheriens luy est sans cesse opposé : neantmoins en 1730 le Preteur Royal obtient 150.000 lb pour l’hotel du Commandant. en 1732 celuy de l’Intendance fut retabli, et en 1734 trois batimens furent ajoutés au Palais Episcopal.
Il faudroit, Sire, reprendre ainsy année par année l’administration du sieur de Klinglin, pour compter tous les avantages qu’il a eu le bonheur de procurer, soit pour le service direct de vostre Majesté, soit pour l’utilité de la ville même. vous le verriez en 1737 suppléer a la disette du terrain dans Strasbourg et donner aux Citoyens un marché public qu’ils sollicitoient depuis longtems. en 1738 il arrache des sommes considerables au Magistrat pour la reconstruction de l’hopital Royal : on dit arracher parce que les Enfans trouvés étant élevés à l’hopital pour l’Etat et dans la Religion Catholique, la moitié des suffrages tendoit a renvoyer le soin de l’entretien et a l’Etat et a la Religion.
Mais ce n’est pas, sire, dans les murs de Strasbourg que les services du sieur de Klinglin ont toujours ete renfermées, les dernieres gueres ont montré en luy les vües d’un homme d’Etat combien de lettres de vos Ministres, des Marchaux de france, de tous les officiers Generaux qui ont commandé vos armées en Allemagne attestent, et les correspondances utiles, qu’il a entretenües au dela du Rhin, et les avis toujours certains qu’il a donnés sur les projets et sur les marches de l’Ennemi. forceroit on sa famille à réveler des secrets qu’il voudroit cacher aux depens de sa vie même ? faut il publier les fautes comises par quelques uns des (p. 14) Généraux, et reparer par d’autres, indiquer à vos voisins les traitres qu’ils recelent chez eux, ceux qu’ils croioient payer parmi nous, et si le secret de l’Etat, la decence publique exigent que sa famille respecte ce qu’il respecteroit luy même, est il juste que dans une conspiration universelle de ses ennemis, tant de services restent inconnus que son zele rendu suspect fut ignoré, et que cette partie importante de son administration soit privée des éloges qu’elle a merités.
Cependant si le zele du Preteur royal eut été borné aux interrets de vostre Majesté, elle permettra de le dire, il n’eviteroit pas le reproche d’avoir negligé ceux de la ville, qui luy étoient egalement confiés.
Mais les veritables interrets de la ville et du Magistrat consistent, sire, dans les Impots que la Ville leve sur les habitans. ils consistent dans le droit de jurisdiction du Magistrat, dans les immunités des habitans en general, ou de quelques particuliers : et combien de Corps dans Strasbourg qui veulent ou asservir la Ville a leurs droits, ou s’affranchir eux mêmes des droits auxquels ils sont soumis. un Etat major le plus nombreux du Royaume, un Clergé le plus illustre de l’Europe, un Corps de noblesse le plus jaloux de ses prerogatives. les interets du Magistrat et de la Ville ont obligé sept fois le Preteur de se rendre à la Cour. falloit il y combattre le Credit par le Credit, la discussion par la discussion, les motifs de faveur par des considerations plus equitables, vos Ministres, sire, sont temoins que le Sieur de Klinglin n’a confié a personne ces demarches et ces travaux son zele a été porté souvent jusqu’a l’importunité, il a interessé ses amis et ses protecteurs, il en a cherché de nouveaux, il n’a pas craint de se susciter des Ennemis. c’est par la qu’il est parvenû a maintenir les immunités des habitans contre de nouvelles entreprises, à asservir les refractaires aux droits établis, à en procurer de nouveaux à la ville, à étendre le jurisdiction du Magistrat, et a en faire respecter l’autorité. Les preuves de ce zéle se retrouvent, sire, dans une foule d’arêts de votre Conseil, ils se retrouvent dans les registres même du Magistrat.
(p. 16) Le renouvellement de chaque Magistrature, la lecture annuelle des privileges en contiennent les faits, les dattes, les operations, ils contiennent de plus les éloges que dans des tems non suspects mais plus heureux le Magistrat a toujours prodigués au preteur royal.
Et quels travaux, Sire, ne pouroit on pas offrir encore a vostre Majesté dans la vie d’un homme qui pendant 27 ans a gouverné une ville, telle que Strasbourg ? ces Evenemens imprevus, qui renaissent chaque jour, ces mouvemens rapides qu’il n’est jamais permis de suspendre, ces details immenses que son zéle multiplioit et si le Preteur Royal a pû satisfaire à tant de differens devoirs, ce n’est que par une erudition consommée dans les matieres de la jurisprudence, par une sage activité dans les matieres de la police, par une intelligence profonde dans toutes les parties du Comerce et des finances. ainsy reunissant les lumieres qu’exige le Gouvernement entier du magistrat, il en a conduit seul les ressorts, et toujours au milieu des interets les plus opposés.
Quelle est donc, Sire, la partie de cette long[u]e administration qu’on pretend soumettre a la Censure, et comment sur tout entreprendroit on de prouver que l’anneantissement de la dignité de Preteur Royal importe à vostre Service ? les affaires publiques, les affaires des particuliers, tout a été maintenu dans l’ordre, c’est peu dire, tout est deja muni du sceau de vostre approbation. En effet, Sire, vous parutes a Strasbourg en 1745 et sur le temoignage que les generaux et les Ministres vous rendirent des services du S. de Klinglin, vous accordates la survivance de sa charge a son fils. le silence doit donc être imposé depuis 1725 jusqu’en 1745. c’est vostre parole sacrée, Sire, qu’on ose icy attester. de même en 1748 Le Preteur Royal eut l’honneur de vous presenter les Estampes des fêtes données à Strasbourg a l’occasion des nombreuses Conquetes et du passage de vostre Majesté, et sur ces assurances (p. 18) de la continuation des mêmes services, vous le decorates du titre de Conseiller d’Etat, donc encore en 1748 sa conduite etoit irreprochable. c’est cependant dans ces années mêmes ratifiées par les bienfaits de vostre Majesté, qu’il est accusé d’avoir negligé vos interets, et de s’etre rendu coupable de la même negligence envers la Ville. c’est là qu’on le represente comme disipateur des finances publiques, et ravisseur même de la fortune des particuliers. mais, Sire, c’est icy un complot que la haine et la perfidie ont preparé, et dont il faut devoiler les Causes et les evenemens a vostre Majesté.
[en marge : 2e objet division du Magistrat et du Preteur Royal]
Si l’on Excepte, Sire, un petit nombre de Citoyens de l’une et de l’autre Religion, fidels a leurs devoirs, le Magistrat de Strasbourg a toujours rassemblé des hommes livrés aux prejuges les plus dangereux.
On entend pas ces prejuges, un attachement indiscret à de fausses idées de liberté, ou zéle aveugle pour les Erreurs de leur Creance, et souvent de Coupables affections pour une domination étrangere. les uns, Sire, ne voyent que des innovations a leurs privileges dans les demandes de vostre Majesté, les autres dans des depenses concernant le militaire, que le soutient d’une autorité qui gêne leur independance ; et d’autres encore, dans les Etablisssens de Religion, que des larcins faits a la Religion qu’ils professent. Ouy, Sire, si la justiffication du Preteur Royal etoit attachée à la diffamation de ses Ennemis on pourroit les indiquer a vostre Majesté par leurs noms, marquer le principe de leur haine,et en fixer même les Epoques. vous verriez le Lutherien irrité dans une assemblée ou le S. de Klinglin recuilloit les suffrages sur un objet de Religion. vous verriez le Catholique rejettant les demandes de vostre Majesté, et son levé contre les Preteur qui les deffendoit. peut on s’etonner que des negociations qui n’ont souvent reussy que d’une voix aient fait des mecontens dans le party opposé ?
Cependant, Sire, c’est ainsy que se (p. 20) sont formés les premiers bruits, qui ont combattû la voix publique sur l’administration du Preteur Royal dans le tems que cette division vague encore et sans caractere n’a consisté que dans le murmure de quelque particuliers, le S. de Klinglin les a dedaignés, mais en 1748 ses Ennemis instituerent une Chambre, sur le pretexte de retablir le credit de la Caisse public. cette Chambre ne fut composée dabord que de trois senateurs pris dans le Magistrat, et le nombre s’est accru depuis jusqu’a dix. dans l’origine aussy, ses fonctions etoient bornés à l’Economie des revenus de la Ville, ensuite elle a entrainé à Elle la connoissance de toutes les affaires. dans cette Chambre, Sire, se sont refugiés tant de mecontens dont la voix étoit toujours etouffée dans le Magistrat. Là la division soutenue de l’autorité des suffrages, après une consistance certaine, elle est devenue là le sisteme d’une Compagnie, et elle a formé des projets.
Ces Projets, Sire, menaçoient la dignité du Preteur Royal et sa personne même mais il étoit difficil d’attaquer un homme qui jouissait de la reputation, un homme surtout dont l’autorité étoit respectée, il falloit approcher insensiblement de la personne, luy enlever par decrés la confiance publique, luy ravir la protection des ministres, juges et temoins de son administration, persuader enfin a vostre Majesté même qu’il etoit de son interrest d’aneantir la dignité et de s’assurer de la personne : tel fut, Sire, le plan de la Chambre d’Economie.
Les Coups furent essayés d’abord contre les differens Etablissemens faits par le S. de Klinglin dans le gouvernement de la Ville. la Chambre proposoit par la le double avantage d’Elever dans Strasbourg une autorité Rivale de l’autorité du Preteur et en renversant ses travaux, de repandre ses soupçons contre sa capacité et son desinteressement. ainsy le premier Coup d’authorité fut d’abolir la ferme des revenus de la ville. la resolution de la ferme preferablement a la regie, avoit ete prise par le magistrat, elle l’avoit été, non dans une premiere assemblée, mais en consequence de plusieurs deliberations, (p. 22) Et si on pouvoit s’en plaindre, le reproche ne devoit point être adressé au Preteur Royal, à luy qui dans cette occasion, ainsy que dans toutes les autres, n’a qu’une voix. on negligeroit, Sire, de le justiffier sur cet objet, si ce memoire n’interessoit que la deffense mais vostre Majesté s’est proposé de reformer les abus introduits dans l’administration de la Ville, et en suivant les traces de le persecution suscitée contre le S. de Klinglin il sera aisé de compter les abus à reformer, par le nombre même des Etablissemens precipitament detruits. En effet qui ignore, pour ne donner un Exemple, l’abus des regies, surtout pour les revenus d’une ville. les faux frais indispensables en absorbent une partie. il faut autant de Comptes qu’il y a de regisseurs, et ce sont autant de recettes diminuées, et autant de depenses surchargées. combien aussy de droits negligés ou perdus, des Commis, dont les appointemens sont fixés, ont ils l’attention d’un fermier personnellement interessé ? vostre Majesté n’a t’elle pas adopté le sisteme des fermes, pour la perception de ses revenus ? les Intendans de Province ne donnent ils pas a ferme les revenus patrimoniaux des villes et ce sont là les motifs par lesquels le Magistrat de Strasbourg s’etoit decidé.
A l’Egard de la ferme suivie dans l’adjudication, seroit de le Crime du Preteur ? permettez, Sire, qu’on en laisse sur aucune de ses demarches les soupçons que ses Ennemis essayent d’y repandre, le Magistrat s’etoit fait representer les differens Etats des revenus de la Ville depuis 1737. jusqu’en 1746. et dans ces 10 années etoient compris 1742. 1743. 1744. et 1745. tems où les droits d’entrée et de sortie furent considerablement augmentés au profit de la Ville, les droits augmenterent par les evenemens qui forcerent les habitans de l’Alsace a transporter les effets de leur Commerce à Strasbourg. c’est l’affluence des officiers generaux et des troupes, qui occasionna un transport perpetuel de vivres et d’effets, c’est l’arrivée de vostre Majesté, qui attira le Concours (p. 24) de l’Alsace entiere, et neantmoins le produit de ces 4 années Extraordinaires joint à six autres, n’avoit rendu pour une année commune que 718.912 lb. en consequence les articles de la ferme avoient été deposes à la Chancellerie, chacun etoit admis a les prendre en communication, a fait des offres, et le S. Ducre s’étant trouvé le plus offrant, a la chaleur des Encheres, le ferme luy avoit été adjugée pour la somme de 792.000 lb.
Quelles raisons, quels pretextes l’esprit de division concentré alors dans la Chambre d’Economie pourroit il donc alleguer, pour excuser la suppression de cette ferme dix huit mois apres ? la ferme donnoit sur la regie precedente un benefice annuel de 73.088 lb, c’est a dire pour les neuf années 637.792 lb. dira t’on que la premiere année, le fermier a fait une recette avantageuse ? en le supposant, que peuvent decider les premiers avantages ? et les Comptes de la Regie ne prouveroient-il pas même combien l’année suivante 1751 a été prejudiciable à la Ville. non, Sire, l’utilité de la ferme n’a jamais du être un probleme. Le Conseil donné par le Preteur Royal trouve sa justification dans cette utilité. la ferme est donc un premier Etablissement qui doit rentrer dans le projet de reforme annoncé par vostre Majesté : mais le projet de la suprimer avoit été concerté dans ce projet general de haine et de division, qui menaceant la personne s’executoit deja contre les differentes parties de son administration.
Et combien d’autres parties en effet ont été entrainés dans le cours de ces injustes proportions.
C’est ainsy qu’on avoit vû des tems à Strasbourg ou le bois etoit d’un prix excessif. Le S. de Klinglin avoit engagé la Ville a ceder son privilege à un Entrepreneur. L’Entrepreneur etoit obligé d’avoir pendant 12 ans un approvisionnement, et il luy étoit deffendu sous les peines les plus severes de la police de vendre au dela de la taxe, par la le bois de chauffage étoit maintenu à un prix juste et uniforme. la garnison, objet principal (p. 26) de cet arrangement, étoit soulagée, le public y applaudissoit ; à ces traits la Chambre Economique reconnut l’ouvrage du Preteur, et pour annéantir partout où il avoit ediffié, elle offrit un dedommagement a l’Entrepreneur et le bail fut resilié.
Et n’est-ce pas par des entreprises aussy temeraires que la vente des suifs a produit un evenement deja parvenû à la Connoissance de vostre Majesté ? les Bouchers portoient les suifs a un prix excessif, le S. de Klinglin fit agrer au Magistrat d’Etablir un magasin public, et les Bouchers reçurent l’ordre de les porter au magasin dans la suite, la regie ayant parû onereuse a la Ville, le party de la ferme avoit été choisy et le fermier luy donnoit une somme de 12.000 lb par an. par là encore les besoins du public, ceux de la garnison surtout, étoient satisfaits, les monopoles supprimés, et les revenus de la ville augmentés de 12.000 lb sur un objet auparavant infructueux pour elle, mais on commenca par abolir la ferme. a l’Egard du magasin, si vostre majesté n’en avoit soutenu l’Etablissement, il eût été renversé, pourquoy encore ? pour combattre l’autorité du Preteur, pour favoriser quelques artisans, dont la recolte a deja scandalisé le Conseil de vostre Majesté.
Si le S. de Klinglin, Sire, veilloit luy même a sa deffense, il negligeroit sans doute de relever l’Economie indecente, dont il est devenu personellement l’objet. mais peut on y meconnoitre la bassesse et l’animosité lorsqu’on sait que la Chambre a porté l’Epargne, jusqua luy retrancher quelques provisions conservées au Commandant de la Province et à l’intendant, et ne pouroit on pas demander, Sire, en dedaignant l’objet, comment on a fait, sans un ordre superieur taxer ainsy l’homme de vostre Majesté [en marge : les bois et charbon]
Mais cette division presque insensible dans sa naissance, tumultueuse ensuite dans le tribunal qu’elle s’etoit creé, a bientost reporté ses fureurs sans le Magistrat ou elle étoit née ; Elle s’y est fortiffié, elle y a produit de plus grands erremens et ces nouveaux progrés ont eu de nouvelles causes dans le Magistrat même.
Il y avoit, Sire, plusieurs années que le Magistrat de Strasbourg avoit fait au sieur de Klinglin des representations sur la modicité de ses appointements. cet objet n’etoit interessant que pour cinquante trois particuliers, et les (p. 28) travaux publics commandés par vostre Majesté n’avoient pas paru d’abord compatibles avec les accroissemens que el Magistrat demandoit. il reitera ses instances, et pretendit que par la Capitulation il estoit le maitre d’administrer ses revenus. sous cette seconde epoque, le ministre de vos finances demandoit l’introduction de quelques droits, et dans ces conjectures, ses demandes auroient eprouvé des retardemens. Le Preteur Royal crut devoir deferer aux instances de Magistrat, et il s’applaudit d’avoir concilié encore les interrêts de la Compagnie avec ceux de vostre Majesté. Mais le Compte des revenus de la Ville prouva bientost qu’elle ne pouvoit suporter l’augmentation des appointements le sieur Klinglin instruit de l’Etat de la Caisse cherche a interresser le Magistrat par des privileges qu’il s’exposoit a perdre, si les abus etoient connus de vostre Majesté, il hazarda de proposer le retranchement des augmentations au moins jusqua ce que les finances fussent retablies. que peuvent, Sire, les avis et les prieres sur des esprits prevenus ? la reponse sur ce premier objet fut qu’on ne le mettroit pas en deliberation, la vengeance s’empara de tous les coeurs, et le party de la division s’affermit ainsy dans le Magistrat.
Nouveau pretexte : en 1687 le feu Roi avoit etablie l’alternative des charges et des Employs en faveur des Catholiques et des Lutheriens. cette alternative avoit été négligée pour les chaires de l’université, en 1687 il y avoit à Strasbourg peu de sujets catholiques capables de les remplir, depuis le progrés de la Religion, il etoit contraire a la decence publique que la jeunesse de la Ville fut instruite dans des Colleges Lutheriens et si le danger n’etoit pas le même pour toutes les chaires il etoit sensible pour quelques unes, telle que la Chaire du droit canon. au Commencement de 1751. les Catholiques demanderent par deputation au S. de Klinglin, qu’il leur permis de s’adresser a vostre Majesté, pour faire Executer les ordres de 1687. vous avez envoyé, Sire, une lettre de Cachet, vostre Majesté a été obeie, et si les murmures étouffés en apparence, ont eclaté depuis, ce n’a été que contre le Preteur royal. L’ammeistre Faber osa le menacer de passer le Rhin avec sa famille et de montrer le chemin a ceux qui voudroinet le suivre. Le S. Moque dit que c’etoit a Strasbourg qu’il vouloit rester, et on (p. 30) luy entendit proferer en même tems les mots de Lutherien et de rebellion.
Mais il seroit difficile de representer l’agitation avec laquelle ces differens requisitoires ont été presque universellement reçus dans le Magistrat. l’extrait des seances doit passer sous les yeux de vostre Majesté. elle y lira en detail les avis audacieux du Stetmestre de Boque, du Stettmestere de Gaill, et de l’Ammeistre Faber. La nation seroit étonnée d’apprendre que dans une ville qui reconnoit vos loix, le blaspheme a été publiquement proferé. il suffit a la deffense du S. de Klinglin de remarquer qu’a cette Epoque même, la , et lorsqu’on dit conjuration, Sire, on entend un objet determiné, et un plan d’Execution.
Sortis de la seance, les factieux resolurent de tenir des assemblées, dans ces assemblées on lut la Capitulation de 1681. les articles concernant la liberté et l’administration et l’Exemption des droits furent tour a tour applaudis, l’independance fut Exaltée, non seulement dans la faculté de penser, mais dans celle d’agir et dans celle de gouverner, et cent fois la religion Catholique fut immolée a la rivale. on entreprit ensuite l’examen de l’administration entiere du Preteur Royal, l’un faisoit remarquer que c’etoit sous son portrait que le 50e le 10e le 20e et tant d’autres droits s’etoient successivement introduits. un autre calculant les depenses etrangeres à la ville et dont il la pretendoit surchargée, faisoit monter les logemens de la garnison, ceux du Commandant et de l’Intendance, l’etablissement des hopitaux et les depenses de l’entretien, a plus de deux millions. un autre enfin rapeloit avec indignation que ce n’etoit que depuis 1725 que la catholicité étoit dominante a Strasbourg et le party Lutherien avili.
Aux assemblées succederent des repas appelles par les complices repas de conjuration les lutheriens et les Catholiques y etoient indistinctement admis, le titre de Conjurés les reunissoit. Le Stettmeistre de Gaill donna le premier repas. cela dans les horreurs du tumulte et les domestiques ecartés, le fanatisme s’empara des Esprits. on apporte des grandes vases, les coupes passent de main en main et chacun boit a la santé de l’independance. ces cris s’apaisent on reçoit les serments et la dignité du Preteur Royal est proscrite. c’est ainsy que franchissant les bornes (p. 32) imposées a leur autorité par la Capitulation qui les soumet à la vostre, ces sujets rebelles ne respectoient dans leurs assemblées ni lois ni moeurs ni bienseances.
Mais il manquait des Chefs, et trois furent choisis, les sieurs Faber, Faust et de Gail. Le S. de Gaill, dont la premiere demarche vers les Conjurés fut un crime d’ingratitude, luy qui doit au S. de Klinglin son avancement dans le Magistrat, luy que le S. de Klinglin a porté par ses soins au grade de Stettmeistre : et faut il parler, Sire, des talens de ces chefs ? une malheureuse fecondité pour imaginer des faits, de la hardiesse pour les repandre, et de la vigilance surtout pour profiter des premieres impressions. c’est alors qu’on les vit enroler ouvertement des complices a l’hotel de ville et dans le public. l’alternative et la reduction des appointements étoient les motifs, par lesquels ils irritoient les passions. ceux qui resistoient etoient appelés pretoriens et quels outrages n’ont pas essuié l’ammeistre et le Stettmeistre de l’année derniere pour avoir constamment resisté.
Dans ces dispositions, Sire, et le premier jour de l’année, les conjurés donnerent à la ville un spectacle singulier la deputation ordinaire du Magistrat vint faire au Preteur Royal le Compliment dont l’usage a fait un devoir. le même jour, on vit le Corps des conjurés au nombre de vingt, distribués dans cinq carrosses, se rendre chez le Commandant de la Province, chez le Lieutenant de Roy, et fait leur Compliment par l’organe d’un orateur, ils braverent le S. de Klinglin jusqua se presenter chez luy, et ils luy annoncerent tout ce qu’il devoit attendre de leur reunion.
Les effets suivirent. la Chambre d’Economie n’avoit attaqué que les anciens etablissemens du Preteur, le Magistrat fit beaucoup plus, il se proposa, en étouffant sa voix dans les assemblées de prevenir tout etablissement nouveau. ainsy au renouvellement de la magistrature, il est d’usage d’Elire un ammeistre dignité importante par ses fonctions, puisque l’Ammeistre preside dans le Magistrat immediatement apres le Preteur. jusqu’icy la prudence, les services eprouvés, l’age (p. 34) même avoient seuls obtenû cette recompense. l’integrité et la subordination furent employée et l’ont vit placer sur le siege de l’ammeistre un jeune homme de trente cinq ans, dont le caractere n’annonce encore que de la confiance et de l’impetuosité. le nouvel ammeistre, confident et complice de tous les projets, consacre le jour de son installation à la distribution des emplois annuels. Si le Preteur Royal proposoit un aspirant, l’ammeistre qui donne sa voix apres luy en marquoit un autre, à l’instant même son suffrage devenoit le voeu de la Compagnie. et pour en donner un exemple, Sire, le S. de Klinglin avoit designé, pour l’un des trois officiers de la Tour aux Pfennings, un homme d’une Capacité et d’une probité reconnues, qui avoit deja rempli cet Employ, le seul peut être de ses Concurrens qui reunit les qualités necessaires, et celuy que l’Ammeistre a preferé avoit passé sa vie dans un Etat vil, ancien dommestique qui a peine scait lire, quoyque les fonctions de ces officiers soient d’administrer la Caisse de la Ville, et d’en rendre les Comptes. c’est ainsy encore que quelques mois auparavant l’avocat consultant du Magistrat avoit été sacrifié. ses fonctions exigent qu’il travaille sous les yeux du Preteur, et cette necessité fit son Crime, sans pretextes contre un travail de huit années, sans reconnoissances pour ses services, sans remords sur les depenses de son etablissement, sans pitié pour une famille nombreuse, tous les sentiments ont été immolés au sentiment de la vengeance.
C’est peu, Sire, d’avoir conspiré ainsy contre l’autorité du S. de Klinglin en attaquant dans la Chambre d’economie ses anciens Etablissemens, en s’opposant dans le Magistrat aux etablissemens nouveaux, la temerité a été poussée jusqua luy fermer l’accés du Magistrat même, en indiquant les assemblées sans le consulter ; en luy dissimulant les jours auxquels elles étoient indiquées, quelle est, Sire, la Compagnie dans le Royaume, ou l’on manque à cette defference pour le Chef si ces abus (p. 36) étoient tolerés, qui repondra a vostre Majesté que ses interets, ceux de la Catholicité, la tranquilité publique ne sont pas exposés dans des deliberations, ou les esprits sont partagés sur toutes les parties du Gouvernement et ces Excés, Sire, étoient toujours soutenues par les discours les plus licentieux. que le Preteur Royal quittât Strasbourg, par la permission de vostre Majesté, que sa santé Exigeat quelques voyages à la Campagne, sa retraite, à entendre les Complices, n’etoit jamais volontaire, ils publioient hautement que l’entrée de l’hôtel de ville luy etoit interdite, qu’il ne reparoitroit pas dans Strasbourg, et que la Captivité succederoit à l’Exil. ces faits calomnieux ont été repandus dans les pays étrangers, et ils ont rempli les nouvelles publiques.
Tels ont été, Sire, les progrés de cette fatale division. mais tant de mouvemens n’etoient encore que des Essais. le Complot n’etoit pas borné à braver l’autorité du Preteur dans Strasbourg à Combattre sa reputation, et a luy enlever la confiance publique pour consommer les derniers attentats, il falloit soulever la ville entiere, compromettre les protecteurs du S. de Klinglin et les interêts de vostre Majesté même, les evenemens approchoient, Sire, et les Ennemis du Preteur royal se preparoient à en profiter
[en marge : 3° objet. Commission etablie par vostre Majesté]
Le scandale de la division du Preteur et du Magistrat n’etoit plus renfermé dans la Ville de Strasbourg. les fuites en parurent dangereuses à vostre Majesté, et Elle jugea necessaire de s’instruire par elle même de l’etat des Choses. le Preteur dans ces premiers momens presenta des memoires au Ministre, memoires dans lesquels il demontroit que l’augmentation annuelle des appointements du Magistrat avoit seule epuisé le caisse publlique. il indiquoit la Chambre d’Economie comme la source des desordres. il prouvoit la necessité de donner a ferme les revenus de la Ville, il vous denonçoit, Sire, ces assemblées clandestines, auxquelles il n’etoit plus appellé. il demandoit des ordres (p. 38) pour rappeller les anciens usages dans les Elections et dans la distribution des Emplois. il sollicitoit enfin la permission de venir rendre compte de sa conduitte.
M. le Marquis de Paulmy repondit aux memoires du Preteur que les vües en étoient assurement bonnes, que même, il pensoit que quelques vues seroient susceptibles d’etre adoptées, mais que vostre Majesté ayant pris le party d’envoyer a Strasbourg un Commissaire avec lequel le Sieur de Klinglin auroit souvent occasion de conferer il pouroit luy comuniquer ses vües. en effet peu de jours apres, le Commissaire nommé par vostre Majesté arriva. mais que portoient les letres de sa commission, que vostre Majesté avoit jugé à propos d’Examiner par Elle même la situation des affaires de la Ville relativement à ses biens, droits, revenus, et à toutes les parties de l’administration, affin etoit il dit, de remedier aux abus et de retablir entierement le bon ordre. jusques la, Sire, il ne paroissoit donc pas qu’une Commission, qui n’avoit pour objet que les affaires particulieres de la Ville dut devenir pour ainsy dire le signal qui reuniroit les Ennemis du Preteur et qui fixeroit leurs projets.
Mais le S. de Klinglin s’appercût bientost que tous les Ennemis n’étoient pas renfermez dans le Magistrat. il appris que le S. de Serilly Intendant de la Province s’applaudissoit à Paris d’avoir eû part à la Commission ? il apprit encore que le S. Desnan Commissaire de vostre Majesté, Conseiller au Parlement de Bezancon s’etoit attaché au S. de Serilly dans le tems que le S. de Serilly etoit Intendant de franche Comté. Le Commissaire doit a l’intendant une inspection sous les salines qui fait le Capital de se fortune. il luy doit une Chaire de proffesseur en droit erigée en sa faveur a Bezancon il luy doit sans doute aussy la Compatibilité de cette Chaire avec la Charge de Conseiller (p. 40) au Parlement de la même ville : et quelles raisons, Sire, le S. de Klinglin n’avoit il pas pour soupçonner les dispositions de l’Intendant à son Egard ?
Le Preteur Royal entraine a Strasbourg par l’autorité de sa charge les honneurs et les avantages utiles reservez aux Intendans dans les autres Provinces, et le S. de Serilly n’a jamais vû sans jalousie ce partage d’autorité, accoutumé dans ses premieres Intendances a ne point eprouver de rivalité il a rencontré dans Strasbourg une dignité unique dans le Royaume, et sans principes sur le sisteme d’une semblable dignité, il ne l’a jamais envisagée que comme un reste de ces anciens abus qu’on devroit anneantir, pour le service même de vostre Majesté.
Il est arrivé aussy dans ces derniers tems que quelques demandes de vostre Majesté, telles que les droits sur les orfevres et sur le tabac, n’ont pas eu dans la Ville de Strasbourg ni l’Etendue, ni la durée qu’ils devoient avoir, cependant on ne pense pas, Sire, que le Ministre de vos finances ait dans cette occasion soupconné le zele du Preteur Royal. jamais ce zele n’avoit excité les supçons du Ministre son predecesseur : ainsy pense l’homme de l’Etat, qui connoit les difficultés de ce qu’il propose, tandis que l’homme de finances ne voit dans des restrictions, ou dans des lois que le reproche de sa precipitation. il avoit promis plus qu’il ne devoit promettre, il echoüe, et la haine naît du sentiment de son humiliation.
de plus, le S. de Klinglin n’a jamais pu se dissimuler les intelligences de l’Intendant avec les Chefs de la Conjuration. on ne dit pas, Sire, que cette intelligence ait été concertée, mais on doit dire que le S. de Serilly a permis des assiduites, qu’il a ecoute des discours seditieux, qu’il s’est tû lorsqu’il devoit parler, ou qu’il n’a parlé qu’avec une indifference meditée. combien de resolution en effet de la Chambre d’Economie, ou du Magistrat, avoient été fondee dabord dans les dispositions de l’Intendant.
(p. 42) Enfin, Sire, quand même le S. de Klinglin n’auroit pas eu, avant sa detention, des preuves certaines de la haine de l’Intendant d’Alsace, sa famille en a acquis depuis. Ouy, Sire, dans une conversation du Comte de Lutzelbourg neveu du Sieur de Klinglin, avec le S. de Serilly sur les premiers bruits de cette affaire, le S. de Serilly s’oublia au point d’attaquer le Preteur royal par des personalités. il osa le traitter d’homme borné, malgré sa reputation et luy refuser cette ardeur inépuisable pour le travail que le Public a toujours vantée. le Comte de Lutzelbourg, Sire, atteste la verité de cette conversation par la signature qu’il a mise au bas de ce memoire.
Or ces dispositions du S. de Serilly c’est le secret que le S. Desnan a surpris dans son coeur. de concert au moins avec ses passions, sans s’être concertée peut être avec la personne, le S. Desnan s’est chargé d’abattre la dignité qui blessoit les yeux de son protecteur, et ce n’est pas seulement par des motifs de reconnoissance qu’il s’y est crû obligé le S. Desnan, Sire, est né avec une ambition, que les talens et la naissance excuseroient a peine. étonné luy même du chemin qu’il a deja parcourû, les differentes commissions dont il a été honoré luy font penser que ses services sont necessaires a vostre Majesté ; et il s’avance a la suite d’une fortune à laquelle il a soumis la sienne : mais comment le Magistrat de Strasbourg a t il proffité des dispositions de l’Intendant et du Commissaire et comment le Commissaire a t’il proffité luy même des dispositions du Magistrat.
Le S. Desnan a soutenu publiquement les intelligences que son protecteur avoit entretenües avec plus de precaution et de secret dans les premiers jours de son arrivée, l’on a vû les complices de la conjuration se rassembler autour du Commissaire, le Commissaire les acceüiller et n’user de reserves qu’avec le Preteur Royal, et les factieux de leur côté n’ont laissé Echaper aucune occasion de mortifier le sieur de Klinglin.
(p. 44) On avoit vu plus d’une fois a Strasbourg des Commissaires de la Cour. ces Magistrats occupés de l’objet de leur mission et sans retour sur Eux mêmes s’etoient contentés, pour le siege qui leur est destiné dans le Magistrat des ornemens ordinaires. Le Magistrat de Strasbourg a porté la petitesse de la vengeance jusqu’a donner au S. Desnan un carreau et un tapit de l’etoffe le plus pretieux et de la plus riche Broderie, là il est aisé, Sire, de se representer le maintien du Commissaire et le triomphe des Conjurés telles sont les depenses que le Magistrat à crû ne pas devoir regretter.
Dans les premieres seances, l’orage se declara, les deliberations au lieu de se renfermer dans les affaires de la Ville s’egaroient sur l’administration particuliere du Preteur Royal, on vit bientost ses Ennemis repandus dans differens états, s’agiter, s’assembler, aller par deputés chez les officines du magistrat, chez les bourgeois, chez l’artisan, solliciter des plaintes et des delations. Les S. de Gaill et Faber s’etoient chargés de rechercher les gratiffications que le S. de Klinglin avoit reçu par le droit de sa charge (p. 45) depuis 27 années, ils flattoient ceux à qui ils s’adressoient de l’esperance d’une restitution, et de quel poids un semblable attrait n’est il pas auprés des ames bornées au sentiment de l’interest ? quelques autres de ses ennemis ont demandé jusqu’aux ouvriers, que le Preteur avoit Employés à ses batimens, et ils les interrogeoient sur leurs payemens, ils ont reveillé toutes les personnes qui avoient été en relation d’affaires avec luy, même dans l’interieur de son domestique. ils ont ameuté ses creanciers, ceux de son fils, ceux dont les droits etoient ou liquides ou eteints. dans cette Confusion, Sire, les parties ont ete admis à faire revivre des pretentions qui en les supposant legitimes, seroient prescrites dans tous les tribunaux, les fils a demander ce qu’ils croyoient avoir été donné par leurs peres et les petits fils mêmes par leurs grands peres, en sorte qu’une commission qui dans son principe encore une fois ne regardoit que les affaires de la ville a degeneré dans une recherche personnelle contre le Preteur Royal.
(p. 46) Et par quelles mannoeuvres encore cette recherche a t’elle été Executée ? on a offert de payer les unes, les autres ont été menacés de la perte, ou de leurs Emplois, ou de leur liberté, et on n’a pas craint de faire envisager les tortures, pour retenir des positions que le remord faisoit retracter, et quelel est, Sire, l’administration qui abandonnée a un semblable Brigandage ne devint bientôt un brigandage elle même. qui ne scait que les affaires judiciaires irritent contre les Magistrats ceux dont l’injustice est reprimée par leurs jugements, qu’un Employ accordé dans les finances souleve vingt concurrens et que les chatimens de la Police revoltent les coupables, qu’on etablisse un tribunal pour juger les tribunaux même, pour juger ces hommes dont les fonctions reunissent tant de fonctions differentes, qu’on admette sans discernement qu’on encourage les plaintes que la vengeance, la Cupidité et la revolte peuvent inspirer, qu’on favorise (p. 47) enfin les delations, quel est le magistrat, l’Intendant de Province, le Ministre dont la vie ne deviendra pas dans un instant un tissu de prevarications.
Cependant, Sire, ces delations, dont l’incertitude et la Confusion exigeoient un Examen, ne pouvoient decider tout a coup de la perte du S. de Klinglin. on luy connoissoit d’ailleurs auprés de vostre Majesté un protecteur temoin de la fidelité de son administration et l’on sentit la necessité de le luy enlever, c’est dans cette vüe que ces hommes toujours implacables repandirent que le Preteur, pour Excuser une Gratiffication qu’il avoit arrachée, osoit dire que le Ministre l’avoit recüe. ils firent parvenir ces bruits au ministre même, et peut être a vostre Majesté, M. le Comte d’Argenson a dû par l’Elevation de son Caractere, en être profondement blessé, mais (la douleur d’une famille éplorée doit excuser la liberté qu’elle prend de le dire) les resolutions les plus justes ne naissent pas toujours d’une juste sensibilité. un coup d’eclat a parû pouvoir seul faire taire la Calomnie toujours jalouse de la gloire (p. 48) des ministres, le S. de Klinglin a été conduit dans la Citadelle de Strasbourg, et son fils a été enveloppé dans la disgrace. c’est ainsy que ce projet conçu dabord par quelques membres du Magistrat, concerté ensuite dans la Chambre d’Economie resolu depuis dans le Magistrat presque reuni, confié enfin au Commissaire de vostre Majesté a été executé, et c’est ainsy que pour y parvenir, des factieux ont osé tromper le public, le Ministre, et ont osé le dire vostre Majesté même.
Mais dans cette affreuse Captivité quels peuvent être, Sire, les sentimens du S. de Klinglin.
S’il rappelle dabord le delations sur lesquelles il a été interrogé il y voit la negligence de ses devoirs, l’ingratitude envers ses protecteurs, les outrages faits a la verité, les bassesses de l’avarice, cependant, Sire, les prejugés contre l’autorité de vostre Majesté se taisent a Strasbourg, vos projets sur la garnison sont remplis, la Catholicité est triomphante (p. 49) La Ville joüit de la tranquilité des Provinces qui sont sans partage de Religion, d’interets et d’atachement, et dans ces succés que l’envie même ne peut lui disputer, le Preteur royal retrouve moins de service encore que son coeur ne l’eut desiré. si rentrant ensuite en luy même, il se souvient que c’est dans ses travaux qu’il a consumé l’ardeur de sa jeunesse, et l’experience d’un age avancé, que c’est là qu’arrivé a la fin de sa carriere, il avoit fondé les esperances de sa reputation et celles d’une famille nombreuse, comment presque septuagénaire, et accablé d’infirmites peut il envisager tant d’esperances confondües ? mais si son coeur, Sire, le ramene au milieu de cette même famille, il y voit une femme vertueuse, neuf enfants dont l’un jeune encore, et deja appellé a la dignité de ses peres partage la captivité, trois gendres, une soeur dont la vertu est connue de vostre Majesté, un frere qui preside au Conseil Souverain de la Province, un neveu que 26 années de service ont élevés a des grades importants et quels objets pour un coeur tel que celuy (p. 50) du S. de Klinglin ! c’est, Sire, cette famille infortunée que le sort de deux malheureux conduit a vos pieds, non pour y surprendre un sentiment de compassion, mais pour detruire Enfin aux yeux de vostre Majesté ce monument odieux d’intrigues et de delations, par lequel leur innocence est oprimée.
[4° objet. Delations contre le S. de Klinglin]
La famille du S. de Klinglin, Sire, ne craint pas de l’annoncer icy a vostre Majesté, sa religion a été surprise, les opperations du Commissaire multipliées pour acquerir une conviction, ne presentent pas les preuves les plus legeres : c’est peu dire, dans cette multitude de faits en est il qui, en les supposant prouvés, meritassent en effet la honte attachée aux crimes ? non, Sire, l’importance de ces delations na jamais repondu aux idées que la Cour, la ville et les Etrangers mêmes en avoient conçues il n’existe point de preuves des delits imputés au Preteur Royal, a peine même y a t il des delits dans ce qu’on luy impute, tel est le Caractere de la deffense.
La premiere delation, celle sans doute a laquelle le S. de Klinglin a été le plus (p. 51) sensible, est la delation qui interesse le Ministre son protecteur. suspendés, Sire, vostre jugement sur la gratiffication qui en est l’objet, le sieur de Klinglin la reçue, il a eu le droit de la recevoir et son droit sera demontré. mais il n’est question encore d’un discours, discours calomnieux qu’on luy impute à l’Egard du Ministre de vostre Majesté. la Calomnie attaque le S. de Klinglin dans les devoirs, dont il a toujours été le plus jaloux, la reconnoissance et la verité, elle attaque le ministre dans ses sentimens dont tant d’autres sentiments luy permettent le moins de s’ecarter, mais par quels motifs suppose t’on que le Preteur eut oublié tout a la fois, et ce qu’il devoit a son protecteur, et ce qu’il devoit a luy même ? s’il n’a jamais regardé la gratiffication comme illicite pourquoy auroit il nié de l’avoir reçüe veut on qu’il ait cru necessaire s’imposer par le nom qu’il reclamait, ce nom ne luy en auroit il pas imposé a luy même ? a t il pu d’ailleurs se promettre le succés d’une imputation combattue dans tous les Esprits imputation qu’il etoit si facil encore aux parties interessées d’approfondir ? ce n’est donc, Sire, qu’en combattant la vraisemblance même qu’on luy suppose d’abord le projet (p. 52) de cette calomnie, et pour qu’elles preuves ensuite pretend on l’en convaincre.
Deux femmes, dit on, ont deposé. elles ont declaré avoir entendu le discours, non du S. de Klinglin, mais du S. Daudet commis de la doüane. Le S. Daudet a été arreté, interrogé et c’est par sa deposition que le S. de Klinglin a été conduit dans la Citadelle de Strasbourg ; Souffrez, Sire, que ces differens temoignages soient discutés.
Deux femmes de l’etat le plus vil, sont dans les premieres bouches par lesquelles la calomnie s’est repandue ; est il, Sire, dans le Royaume un tribunal où de semblables temoins, des temoins surtout, qui ne deposent que sur des raports étrangers, et non de ce qu’ils ont entendu puissent faire preuve ? s’il est possible que le S. Daudet ait dit que la gratiffication n’etoit pas restée dans les mains du S. de Klinglin, s’il est possible qu’il l’ait dit en presence de ces deux temoins, la famille du Preteur ne se charge ni de garantir, ni d’Excuser un discours temeraire, et etranger à sa deffense les temoins peuvent etre opposés au S. Daudet (p. 53) mais ils n’ont jamais approché du S. de Klinglin que pourroient ils donc decider contre luy ? croira t on même que cette Calomnie fut devenu un bien public de la Province, si les Ennemis du S. de Klionglin ne s’etoient appliqués à la receuillir ? on dira plus, peut on croire que des discours populaires, qui naissent et s’evanouissent au même instant, eussent été releves dans la Capitale, si le Ministre n’avoit luy même des ennemis.
Seroit ce, Sire, la deposition du S. Daudet qui meriteroit de la Confiance ?
Le Bruit est public encore dans la Ville de Strasbourg, que le S. Daudet a nié dans ses premiers interrogatoires, le discours dont les femmes le chargeoient c’eut été assez sans doute pour un juge qui n’auroit cherché que la verité, c’etoit peu pour des persecuteurs attaches au succes d’un Complot. on a pressé le S. Daudet on l’a menacé de la perte de son Emploi, c’est a luy même que les tortures ont été presentées, alors il s’est troublé et il a demandé du tems, dans cet intervale, Sire, (vostre Majesté est suppliée de s’arreter à ces circonstances) dans cet intervalle, le S. Desnant vôtre Commissaire, a vû la femme du S. Daudet : il luy a dit que son mary nioit des faits (p. 54) tres importans qui tendoient a sa justiffication, que s’il continuoit a nier, il se perderoit, quelle devoit luy faire passer cet avis, qu’on luy donneroit des facilités : et quelles facilités, Sire, la Dame Daudet a remis a un Banquier de Strasbourg des lettres pour son mary, ces lettres non cachetées ont été données par le banquier au S. Desnan et ce n’est que dans le Cours de cette negociation que le S. Daudet est convenû que ce qu’il avoit dit aux deux temoins luy avoit été dit à luy même par le Preteur Royal.
Or si ces circonstances de la deposition du S. Daudet sont vraies, que devient la deposition même ? on ne pretend pas, Sire, asservir les operations du Commissaire aux formalités de vos ordonnances. comment les operations où les delateurs, étant sans interest, devoient être sans action, soutiendroient elles l’examen des loix ? mais la raison, independament des loix, ne prononce t elle pas que pour s’assurer d’une preuve par la voye des temoins, leur temoignage doit être libre de toute contrainte et de la suggestion même ? sans cela, Sire, ce n’est plus un temoin qui depose pour l’interest de la verité, c’est un complice qui repéte ce qui luy a été dicté (p. 55) cependant quelle est icy la voix qui accuse le Preteur Royal ? c’est celle d’un homme dans les fers, qui avoit nié d’abord qui s’est concerté depuis avec sa femme et avec son juge, d’un homme qui peut être deja convaincu luy même, a été invité a nommer un autre coupable, tel est, Sire, le temoignage qui deshonore le S. de Klinglin aux yeux du ministre, et par lequel on a voulu compromettre le Ministre aux yeux du public.
Mais oseroit on pretendre que la Famille du preteur s’abuse sur les circonstances de la deposition du S. Daudet, elle a parlé, Sire, de plusieurs interrogatoires qu’il a subis, et s’ils n’ont pas été soustraits, vostre Majesté peut s’instruire des variations reprochées icy à ce temoin. elle vous denonce ensuite une negociation ouverte avec le delateur, et cette negociation n’est point incertaine, ce sont des lettres ecrittes, et des reponses reçues elle indique enfin les negociateurs par leurs noms, c’est le S. Desnan luy même, c’est le S. Hermany banquier a Strasbourg, c’est la femme du S. Daudet. le discours du S. Desnan a la Dame Daudet a été circonstancié a l’Egard du S. Hermany, il est des personnes qui alors admises dans sa confiance, sont prêtes (p. 56) aujourd’huy à le confondre, s’il avoit des raisons de se preter à un desaveu.
Que les bruits longtems incertains sur la detention du Preteur Royal de Strasbourg se fixent donc enfin que le public apprenne que ce n’est pas comme il l’avoit pensé, par des raisons d’Etat qu’il a été enlevé a sa dignité, et a sa famille. vos intentions, Sire, seront respectées, et l’on conviendra toujours que la reputation de vos ministres ne doit pas être abandonnée ainsy a la licence des discours mais si l’on apprend en même tems quels sont les delateurs du S. de Klinglin, si l’on apprend surtout par quels moyens on a suscité les delations (permettez, Sire, que la verité vous soit devoilée, la verité est l’homage le plus pretieux qui appartienne aux Roys) ne pensera t’on pas aussy que l’honneur, la fortune la liberté de vos sujets, ne devroient pas être exposés a des operations si precipitées, et ne pensera t’on pas que le Conseil des Souverains ou repose l’esprit des loix, n’est pas destiné à autoriser, dans de semblables irregularités de semblables (p. 57) injustices.
Mais les Ennemis du S. de Klinglin tenteroient ils de persuader, que cette premiere delation n’est pas celle qui a determiné vostre justice, il suffit de les Entendre eux mêmes et l’on sera bientôt convaincu que s’ils en est d’autres elles n’ont servi que de pretexte a la detention du Preteur. cependant ces dernieres delations auroient elles quelques fondemens legitimes ?
Trois Juifs ont été entendus on pretend, Sire, que le premier Raphael Levy, accuse le Preteur et son fils d’avoir abusé du nom du même ministre, pour quoy ? pour forcer le Juif à se contenter d’une somme de 24.000 lb sur 60.000 pretés au S. de Klinglin fils, c’est sur cette delation que le fils a été arrêté, mais les preuves ecrites des violences contre le delateur suffirent encore pour anneantir la delation.
On dit, Sire, des preuves ecrittes la famille du S. de Klinglin joint a ce memoire une lettre adressée à Raphael par le S. Langhans jeune Ammeistre que les complices ont placé cette année a la tête du Magistrat : et quel est le langage de cette lettre ? « je dois vous ordonner d’office (dit l’ammeistre à Raphael) de remettre aujourd’huy sans faute à M. le Commissaire du Roy, (p. 58) ou entre mes mains le memoire que vous avez à dresser contre M. de Klinglin fils preteur en survivance de cette ville, vous n’avez pas voulu y satisfaire jusqu’a present malgré ce que je vous ay dit verbalement, tachez de vous y conformer maintenant si vous ne voulez pas risquer d’y être contraint pas d’autres voyes : Cette lettre, Sire, ne contient Elle pas les preuves du Complot détaillé dans les differentes parties de ce memoire ?
On y a soutenu que les delations avoient été suggerées, icy la suggestion est annoncé par l’ammeistre, il avoit sollicité verballement Raphael, et Raphael n’avoit pas voulu satisfaire à sollicitations dans cette lettre l’ammeistre ne se borne pas a un reproche, il luy donne un ordre d’office, il exige que l’ordre soit executée dans un tems fixe, c’est aujourd’huy, c’est sans faute c’est sans aucun delay. il lui indique à qui il doit remettre son memoire, c’est au Commissaire de vostre (p. 59) Majesté, ou a l’ammeistre luy même, et cet ordre contient enfin une menace d’y être forcé par d’autres voyes, s’il ne s’y conforme pas. Raphael alarmé obeit, Sire, son memoire a été presenté, mais il a remis la lettre de l’ammeistre a Michel Levy son fils ainé. le fils la deposée chez un notaire de Strasbourg pour y avoir /:ainsy porte l’acte de depost:/ recours dans le besoin. Raphael a fait plus, il a declaré au Commencement de son memoire, qu’il le donnoit par ordre du Commissaire, ce memoire est ecrit en allemand il a été depuis traduit en françois, mais qu’il est à craindre que la declaration mise a la teste n’ait été suprimée ?
Telle est donc encore, Sire, l’une des delations que les Ennemis du S. de Klinglin ont publiée avec tant d’Eclat ; c’est par là qu’ils ont entrepris de persuader que les Preteurs s’emparoient à main armée de la fortune des particuliers, et que pour s’assurer l’impunité, ils ne craignoient pas de profaner les noms les plus illustres, or le genre de l’instruction ne dispenseroit il pas encore d’en approfondit l’objet ? non, Sire, le public (p. 60) soupconneroit peut être que si la delation n’est pas vraie dans toutes ses parties, elle peut l’être a moins dans quelques circonstances. tel est l’effet de la Calomnie, elle invente, elle altere, elle empoisonne, et si le calomniateur est confondu, il retrouve un sujet de triomphe dans les prejugés qui subsistent même apres la justiffication.
Quel est cependant, Sire, le fait simple et vray qui sert icy de pretexte ? c’est un prest reellement fait au S. de Klinglin le fils par Raphael usure evidente, dans laquelle le S. de Klinglin avoit été trompé ; Raphael craignit l’Eclat, il fit des demandes il Employa Blisme banquier de sa nation. ils n’ont jamais parlé ni l’un ny l’autre au S. de Klinglin le pere. il ne les a jamais vûs, ils n’ont traité qu’avec son fils, et ils ont regardé 24.000 lb qu’ils ont touché comme un avantage qu’ils n’auroient jamais pu esperer en justice. et quels autres temoins faut il ecouter sur les faits, que les delateurs eux mêmes ? C’est, Sire, en 1746. ou 1747. que cette affaire a été terminé et Raphael a depuis gardé (p. 61) le silence, vu le legitime interrest de 60.000 lb auroit il été ainsy negligé ? quand éleve t il la Voix ? c’est en 1752 apres l’arrivée du Commissaire. est ce Raphael, sont ce ses Enfans qui croient devoir se plaindre. on les presse verbalement et ils resistent. il faut des ordres de l’ammeistre, une lettre de menaces ils deposent la lettre qui contient les menaces et les ordres. le delateur Ecrit, a la tête de son mémoire, l’ordre auquel il obeit, et il agit ainsy dans quel tems ? dans le tems que le Magistrat la ville et le Commissaire de vostre Majesté sont ligués pour reperdre les preteurs, et pour anneantir leur dignité, dans le tems que le S. de Klinglin etoit détenu dans la Citadelle de Strasbourg, l’accusateur n’avoit rien a craindre de son credit, dans le tems que son fils designé son successeur partageoit sa capacité, dans le tems enfin que Raphael etoit luy même arreté ; car n’est-ce pas encore un nouveau prodige de l’instruction dud. S. Desnan ? jusqu’icy le Preteur royal paroit accusé, les accusateurs sont Raphael et le S. Daudet, neanmoins les accusateurs et l’accusé subissent le même sort. si les S. de Klinglin n’ont perdu leur liberté que sur une conviction (p. 62) réelle, dans ce cas le S. Daudet et Raphael ont ils merité ces mêmes rigueurs ? Si au contraire la detention du S. Daudet, si celle de Raphael sont la peine d’une calomnie, pourquoy la Citadelle est elle toujours fermée pour les preteurs ? mais pourquoy plutôt le S. Daudet a t il pû, dans la prison, negocier sa liberté ? pourquoy a t il reçu des lettres et a t’il envoyé des reponses ? pourquoy un domestique a t’il obtenu la permission d’entrer dans la prison le dimanche 26 mars dernier, pourquoy le S. Daudet s’est il montré sur les remparts de la Citadelle ? pourquoy encore Raphael a t’il conservé un commerce libre avec ses Enfans, et avec un Banquier Lutherien, tandis que toute la rigueur est reservée pour les S. de Klinglin ? peut on croire, Sire, que ce soit par les ordres de vostre Majesté ? n’est il pas evident au contraire que c’est au gré d’une Cabale implacable que ces liens etoient, ou relachés, ou resserrés, et seroit ce icy enfin encore ces affaires obscures et enveloppées (p. 63) qui laissent apres elles des vestiges et des prejugés.
Mais dans le recit de ces odieues intrigues, la famille du S. de Klinglin entretiendra t’elle vostre Majesté des delations de deux autres juifs ? le S. Dietrich Banquier pressé sur un fait dont le Commissaire soutenoit qu’il etoit instruit, demanda 24 heures pour reflechir, parce qu’il ne pouvoit disoit il s’expliquer en françois, le delay luy fut refusé, et les dernieres paroles du S. Desnan furent qu’il le feroit arreter, s’il ne deposoit sur le champ Blisme aussy a avoué qu’il se reprochoit d’avoir permis qu’on inserat dans sa deposition toute autre chose que ce qu’il vouloit dire, ignorant le sens des mots, et il a attesté comme Raphael, a la teste de sa declaration que s’il parloit d’une affaire, pour laquelle il ne repete rien c’etoit en execution des ordres reiterées du Commissaire.
Et Combien de delations, Sire, marquées aux mêmes caracteres, ne pouroit on pas detailler encore a vostre Majesté ; delations pour lesquelles les accusateurs avouoient toujours qu’ils n’avoient aucun interest, delations toujours arrachées par la Crainte (p. 64) delations sont les faits et les circonstances étoient ou imaginées ou alterés ? c’est la que vostre Majesté verroit la cupidité animée, les haines reveillées, toutes les passions excitées, et si la famille des S. de Klinglin ne rapporte pas les desaveux que les parties plaignantes seroient disposées à faire de leurs accusations, c’est parce que le Commissaire de vostre Majesté regne encore a Strasbourg, mais la pluspart se retrouveront, Sire, dans les pieces même de l’instruction.
Ces I.eres delations, Sire, ne tomboient que sur des faits particuliers, il falloit donner a une querelle personnelle une apparence d’interrest public, c’est dans ce dessein que les Ennemis du Preteur n’ont pas craint de repandre qu’il avoit épuisé la Caisse de la Ville : reproche grave, qui depend de deux faits, l’un de scavoir si la Caisse a deperi en effet depuis le Pretoriat du S. de Klinglin, l’autre si ce deperissement peut luy etre imputé.
En 1° Lieu, vous avez vû, Sire, les (p. 65) factieux du magistrat reprocher au sieur de Klinglin dans leurs assemblées seditieuses qu’il avoit fait payer plus de deux millions de depenses extraordinaires pour vostre service ; vous les avez vus luy reprocher encore que la ville s’etoit chargée pour les mêmes objets d’un entretien onereux, comment la Caisse auroit elle fournit ce surcroit de depenses, si les fonds, si les revenus n’eussent été sagement administrés ? aussy suffiroit il d’en consulter les registres pour rester convaincu que depuis 1725. les revenus de la Ville ont augmenté depuis de 180.000 lb. c’est ainsy que la ferme proposée en 1748 par le Preteur et consentie par le magistrat devoit procurer, pour les neuf années, un benefice de 657.792 lb et d où pouvoit resulter ce benefice si ce n’est en partie d’une amelioration, en partie d’un accroissement des fonds.
En 2° Lieu, s’il etoit vray que la caisse publique fut dans l’etat deplorable dont le Magistrat feint d’etre allarmé, en faudroit il chercher d’autre cause que l’augmentation annuelle des (p. 66) appointemens ? a l’Egard du S. de Klinglin quelle est son autorité sur cette caisse ? sa famille l’a annoncé, et elle doit le repeter, le Preteur n’a aucune administration des deniers il ne sort rien de la tour aux Pfennings que par une deliberation du Magistrat, le pouvoir du Preteur dans ces deliberations est borné à une voix sur 53. ainsy le moyen par lequel il doit etre deffendu sur cet objet ne souffrira pas de replique, c’est la raison de l’impossibilité même. il est donc aisé de sentir que le Magistrat entend par le reproche de dissipation des deniers de la Ville ? les droits demandés dans ces derniers tems par le Ministre de vos finances, les Etablissemens formées par la garnison, tant de fêtes publiques ordonnées pour les conquetes de la nation et pour la presence du Conquerant, fêtes dans lesquelles des sujets peu fideles n’ont jamais envisagé qu’un outrage fait a la douleur que leur causoient ces glorieux (p. 67) evenemens, voilà, Sire, ce qu’ils osent qualifier de dissipation mais est ce au tribunal de vostre Majesté que cette accusation deguisée auroit du être portée.
Il est, Sire, un dernier genre de delations qui a paru flater surtout la Confiance des ennemis du S. de Klinglin, ce sont les gratiffications qu’il a recues pendant 27 ans d’administration par le droit de sa charge même.
L’une des prerogatives de la charge de Preteur Royal de Strasbourg est d’etre le Chef de la Justice, si c’etoit dans cette qualité et pour les affaires contentieuses que le S. de Klinglin se fut livré à la liberalité des Citoyens, sa famille rougiroit, Sire, et elle ne se chargeroit pas de la deffense. mais l’integrité du juge n a jamais été exposée aux soupcons, et l’on n’entreprendra pas de le deffendre icy sur la seule partie de son administration que ses ennemis ayent repettée.
Quelles sont donc ces gratiffications que la famille du Preteur peut avouer ? des presens, quelque fois accordés par (p. 68) la Ville, en reconnoissance des affaires qui avoient reussy par les soins du S. de Klinglin soit aupres de vostre Majesté, des Villes et des provinces voisines, soit aupres des particuliers ; des presens accordés par les Citoyens, pour les baux qui leur étoient adjugés ; pour les ouvrages publics dont ils se chargeoient, pour les emplois et les charges dont ils etoient decorés et revetus.
Premierement, Sire, citeroit on un Exemple ou ces gratiffications n’ayent pas été volontaires les Registres du Magistrat portent la justiffication de celles que le S. de Klinglin a recues de sa part vostre Majesté verra même par ces Registres quelles gratiffications ne peuvent pas être regardées comme entierement gratuites, puisque les succés dont elles étoient la recompense avoient toujours couté des frais considerables, tant pour des voyages que par les avances qu’il avoit fallu faire, et d’ailleurs ce n’est jamais qu’en vertu d’une deliberation qu’elles (p. 69) étoient accordées. a l’egard de celles qu’il a reçues des Citoyens, elles ont été egalement libres et volontaires presens donnés par ce qu’ils esperent un profit et des avantages dans les affaires qui leurs sont procurées, parce qu’ils se voient preferés a des concurrens.
2.ent penseroit on aussy que ces presens ayent nui aux affaires mêmes ? les fermes les baux ne s’adjugent que dans le Magistrat a la pluralité des sufffrages, et dans les formes ordinaires de plus offrant des encherisseurs ; l’adjudication des travaux publics est toujours faite au rabais, et comment des adjudications aussy reguliers laisseroient elles des doutes sur l’interest principal.
3.ent a l’Egard des Charges et des Emplois, il ne faut pas, Sire, en juger suivant les idées recues ailleurs. la Ville de Strasbourg et par son ancienne Constitution, et pas les privileges conservés dans la capitulation de 1681 forme un corps de Republique, un état (p. 70) libre, les Emplois et les Charges ne sont pas exigés en titre, la distribution en appartient au Magistrat dans tous les tems le Preteur comme President de cette Compagnie a jouy du droit de les accorder, et dans tous les tems aussy le prix de la preference a été abandonné a la volonté de ceux qui en etoient pourvus : si ces id[é]es sur le gouvernement du Magistrat ne sont pas universellement connües, elles le sont a Strasbourg, elles le sont surtout des membres du Magistrat qui en font aujourd’huy un Crime au S. de Klinglin tandis qu’ils en ont toujours reçû, et que chaque jour ils en reçoivent encore, pour les affaires particulieres distribuées dans leurs chambres.
Aussi l’usage de ces presens a t’il été adopté dans tous les gouvernemens. il est indispensable au milieu de cette Circulation d’affaires, qui lient les Citoyens, dans ce Commerce de la societé ou chacun entre par des titres differens. il n’est pas une operation de Commerce, ou de finance, les fermes mêmes de vostre Majesté (p. 71) qui ne deviennent utils à ceux qui y president. usage qui s’est établi sous les yeux du souverain et des Ministres, sous ceux du public qui ramene si souvent a la censure ce qui a echapé aux jugemens les plus severes, et qu’est-ce qui legitime ces gratifications aux yeux de tant de juges austeres ? c’est qu’ils ne voyent rien que de volontaire, de la part de ceux qui donnent ; c’est que dans la forme, rien ne nuit a l’affaire principale, c’est qu’il ne rentre souvent dans la main de celuy qui reçoit que le remboursement de ses avances, ou des secours indispensables pour soutenir la dignité des grandes charges.
Et sans cela, Sire, si les gouvernemens si les Intendances étoient bornés aux honneurs qui les environnent, comment y soutiendroit on les depenses qu’ils entrainent ? est il une charge surtout, qui y soit plus exposée que Celle de Preteur Royal de la Ville de Strasbourg, on ne dira pas seulement dans le Cours ordinaire de ses Exercices, on dit encore (p. 72) dans des occasions, que la situation de la Vile renouvelle sans cesse. la guerre, depuis le Pretoriat du S. de Klinglin, y a attiré deux fois ce que le royaume a de plus eminent, et la personne même de vostre Majesté, il a eu l’honneur dans d’autres occasions, d’y recevoir la Reine et une princesse auguste, associée à vostre famille Royale ; vostre Majesté a vu aussy que le S. de Klinglin s’est creé au dehors pour vos interets, des fonctions plus secrettes, plus importantes, et non moins dispendieuses. il continue, au dela du Rhin, quelques unes de ces pensions, auxquelles il s’est engagé dans la derniere guerre, et ces depenses, Sire, ne se trouvent pas sur les Registres de la Ville. jamais vostre Majesté n’en a été importunée, le secret de même que celuy des affaires qui les ont produites a toujours été renfermé dans son coeur ; et c’est dans ces depenses multipliées, qu’il a consommé les gages, les gratiffications attachés a sa charge, et sa fortune même : ouy, Sire, si vostre Majesté permettoit de luy exposer (p. 73) le detail de cette fortune immense, qu’on luy reproche elle apprendroit que le sieur de Klinglin a été obligé de Consentir a la vocation de 4 de ses filles aujourd’huy Religieuses a [-] que deux autres ont été mariées avec une dot de 20.000 lb chacune, et qu’enfin il seroit hors d’Etat de Continuer ses fonctions avec la decence qu’elles exigent, si vostre Majesté n’avoit la bonté de luy accorder la permission de vendre l’un de ses fiefs.
Tel est cependant, Sire, le Corps de delations, par lesquelles on est parvenu à irriter vostre Majesté contre les Preteurs de Strasbourg, c’est donc en presentant comme des prevarications criminelles des retributions autorisées, et par un usage constant, et par l’esprit du gouvernement de la Ville ; c’est en leur imputant un desordre qui, s’il etoit reel n’auroit point d’autre Cause que l’avarice même du Magistrat ; c’est en leur supposant des violences et des attentats commis contre la fortune des particuliers ; c’est plus (p. 74) c’est en soutenant contre eux, par les intrigues de la Calomnie, des protecteurs qui dans toute autre occasion, se croiroient obligés pour l’interest même de vostre Majesté, de se charger de leur deffense ; or n’est il pas demontré, Sire, que le sisteme de ces delations est le projet même né dans la Ville de Strasbourg du succés de vos affaires, projet nourit dans le party Lutherien par la proposition de l’alternative, et dans le Magistrat par celle de la reduction de ses appointemens, projet favorisé par des Ennemis secrets et ouvertement Executé, Enfin à l’ombre d’une autorité, que vous aviez renfermée dans d’autres bornes faut il, Sire, que sous le Regne d’un Prince si grand si juste, si Eclairé, l’envie attaque impunement des Citoyens, dont le seul Crime est d’avoir censuré dans leurs Ennemis les Crimes même que ceux ci ont la temerité de leur reprocher ? se pouroit il aussy (p. 74) que d’un Complot ouvrage de la haine de la rebellion, et de tant de passions reunies fut né, le Conseil donné à vostre Majesté de perdre les preteurs, et d’anneantir leur dignité ? Car enfin si l’on doit en croire les cris effrenés d’une cabale aveugle, c’est ainsy qu’ils continueront bientost dans un tribunal reglé leurs persecutions. deja ils osent nommer les tribunaux ou ils esperent trouver de nouveaux complices, mais quel est, Sire, le tribunal, dont les operations du Sieur Desnan pouroient seulement soutenir les regards ? si les delateurs ont declaré n’avoir aucun interêt dans les plaintes qu’on leur a arrachées, comment cette affaire malheureuse pourroit elle jamais estre du ressort des juges ordinaires ? sans doute qu’il y a des abus à reformer dans le gouvernement de la Ville de Strasbourg, mais qui connoit mieux que le S. de Klinglin (p. 76) la cause de ces abus leurs consequences dangereuses, et les remedes efficaces qui peuvent en operer la reformation. rendez, Sire, les Preteurs aux Citoyens vertueux, dont ils ont toujours animé et protegé la fidelité, rendez un père, rendez un fils à une famille en pleurs, rendez les S. de Klinglin a eux mêmes, c’est a dire au zele qu’ils conservent jusques dans les fers, de sacrifier leur vie au service de vostre Majesté, si les Esprits sont aujourdhui aliénés, si la Confiance publique est ralentie la suppression des travaux etrangers a la Commission du S. Desnan peut tout reparer, c’est, Sire, non la grace mais la justice qu’on ose demander a vostre Majesté et les sieurs de Klinglin declarés innocens reprendront aupres des rebelles le Credit qui leur est necessaire (p. 77) pour concilier toujours vos interets avec les interets de la Ville de Strasbourg qui leur sont egalement confiés.