1751, Mémoire de Sérilly


Archives départementales du Bas-Rhin, cote 4 J 2 (5)
Mémoire non daté sur le préteur royal François Joseph de Klinglin par Jean Nicolas Mégret de Sérilly (1702-1752), intendant d’Alsace depuis 1750

Résumé
Sérilly évite les relations directes avec le préteur royal (Je m’en suis tenu avec le Préteur à des politesses de décence) et se donne pour tâche de l’observer (je n’ai cherché à m’instruire de tout ce qui est relatif au Préteur et à la Préture que dans la vue générale d’en aider mes supérieurs s’ils me faisaient l’honneur de m’en parler). Klinglin qui a succédé à son père dans la place de Préteur n’a eu qu’une éducation grossière (Il ne connoit aucun principe de moeurs soit dans l’intérieur de sa famille, soit dans l’administration de son office, soit relativement à ce qu’il doit à ses concitoyens). Il a ainsi trouvé moyen d’exercer la tyrannie la plus complète. Depuis la mort de son beau-frère le maréchal du Bourg, Klinglin a usé de son crédit pour tout oser. Il a commencé par se débarrasser du syndic royal qui était un surveillant incommode.
L’auteur déclare se limiter à rapporter quelques exemples des malversations et des prévarications commises par Klinglin, du despotisme qu’il exerce dans l’administration des affaires de la ville et vis à vis des particuliers.
(1, p. 339) Le Palais qu’il a fait bâtir à Strasbourg qui a couté au moins 300.000 livres dont la plus grande partie a été prise sur les fonds de la ville.
(2, p. 341) Le château à Illkirch.
(3, p. 342) L’échange des villages d’Illkirch et Graffenstaden (180 chefs de famille) contre celui de Hœnheim (50 chefs de famille) et une partie de la dîme de Hüttenheim après avoir demandé un bail emphytéotique de la seigneurie d’Illkirch et de Graffenstaden pour un prix modique.
(4, p. 344) Les bois de charpente pour le château d’Oberhergheim ont été pris dans les magasins de la ville.
(5, p. 345) La canardière, la faisanderie et la ménagerie établies dans une pâture communale avec les matériaux et les ouvriers de la ville.
(6, p. 346) Klinglin s’est emparé de plusieurs îles du Rhin consistant en pâturages et glandées considérables.
(7) Il fait abattre de son autorité privée les arbres qu’il juge à propos dans la forêt de la ville.
(8, p. 347) Administration des revenus de la ville (soit qu’ils aient été affermés en gros ou en détail, soit qu’ils aient été en régie le S. de Klinglin en a toujours tiré des sommes exorbitantes).
(9, p. 349) Adjudication pour la fourniture du bois de chauffage, avec commissions pour Klinglin.
(10, p. 350) Fourniture en grains en 1750.
(11, p. 352) Klinglin se rend fermier général de tous les revenus de la ville par des prête-noms.
(12, p. 353) Klinglin décerne, sans la participation du magistrat, des assignations et des mandements de sommes considérables sur les différentes caisses de la ville sous prétexte de dépenses secrètes.
(13) Frais des voyages à Paris.
(14, p. 354) Pour remédier à l’épuisement des caisses de la ville, Klinglin a engagé le Magistrat à vendre ses moulins, des maisons et des magasins. Sur la vente des moulins pour 90.000 livres, la ville n’a réellement tiré que 58.500 livres.
(15, p. 358) Fêtes publiques payées par la ville.
(16, p. 358) Papier, bois (ses ouvriers sont payés en bois qu’il faut prendre au magasin public)
(17, p. 360) Dîme d’Illkirch gérée par la fondation Saint-Marc (Klinglin proposa au Magistrat de céder les deux maisons, la dîme et les 8648 livres d’arrérages plutôt que de soutenir un procès à gros frais contre les prébendés).
(18, p. 363) Conduite à l’égard des particuliers (Il n’est pas une charge ni un emploi soit dans la ville, soit dans les bailliages qui en dépendent dont il ne dispose souverainement, et toujours au plus offrant). Liste des sommes versées par 117 personnes, actuellement vivant ou mortes depuis peu, pour divers emplois, d’un montant total de 411.076 livres (on ne dit rien de trop en avançant que la vénalité des offices a déjà produit au S. de Klinglin au dela d’un million).
(19, p. 374) Arriérés de la Taille, affaire des héritiers Walter, abonnements à la Taille
(20, p. 376) Magasin à suif (Klinglin tire de cet article un revenu de 12 à 15.000 livres par an).
(21, p. 377) Vente des peaux (15.000 livres par an)
(22, p. 379) Commissions pour établir six nouvelles brasseries.
(23, p. 380) Exemption des logements militaires moyennant des sommes versées au préteur royal.
(24, p. 380) Affaire du pavot du bourgeois Kips. Dispense de mariage du luthérien Raderer. Taxation de Schmid, greffier du bailliage de Barr (C’est ainsi que par son despotisme ce Préteur vexe et opprime qui bon lui semble jusqu’à ce qu’il en ait tiré les sommes qu’il désire).

Notes concernant M. le Préteur de Strasbourg (p. 389)
La chambre d’économie est restée longtemps inactive. Vers les mois de mai et juin 1751, elle a commencé à s’occuper sérieusement des affaires de la ville. Elle vient de priver le préteur de l’accise sur les vins, a supprimé le monopole sur les suifs et la taxe par peau de bœuf. Le Magistrat vient de recouvrer les chasses des bailliages. La Chambre d’économie a fait défense d’acquitter aucun mandement du préteur royal qui ne soit motivé et visé d’un consul ou d’un préteur.
On vient de reconnoître par l’examen (p. 395) qui a été fait de la recette et de la dépense de la Capitation que paie la ville de Strasbourg que le Préteur a imposé chaque année au moins 30.000 livres de plus que la somme qui en revient au Roi.
L’exposé se termine par les menaces par lesquelles la sœur du préteur royal, madame de Lutzelbourg, a tenté de dissuader le préteur de Gail qui dirige la Chambre d’économie de poursuivre son frère.


(p. 329) Lorsque je fus nommé pour passer à l’Intendance de Strasbourg, un des premiers objets qui se présenta sous mes yeux fut la conduite que j’aurois à tenir avec le Préteur de cette ville : Je m’en formai un plan que je communiquai à quelques une de mes amis ; Ils l’aprouvèrent : Je l’ai suivi, et je ne peux me repentir d’en avoir usé ainsi vis à vis d’un homme aussi célèbre, aussi fameux et autant accrédité. Je n’ai jamais traité aucune affaire avec lui. S’il y a eu quelques demandes à former au Magistrat de Strasbourg, ou quelques plaintes à faire je me suis toujours adressé directement au Ministre. Je m’en suis tenu avec le Préteur à des politesses de décence. Je n’ai eu avec lui aucune liaison ni d’amitié ni de plaisir, au moïen de quoi j’ai joui du repos. J’ai évité des insolences qui certainement n’eussent pas été tolérées de ma part, et j’ai tout lieu de croire qu’en me conduisant de même à l’avenir, le succès ne sera pas différent.
Pendant mon séjour à Strasbourg (p. 331) j’ai pensé qu’il me convenoit d’étudier le caractère de ce Préteur, et de fouiller dans sa conduite. Les gens qui me connoissent ne me soupçonneront pas d’avoir été porté à cette curiosité par des vues personnelles. Ceux qui connoissent mes dispositions actuelles en sont encore mieux convaincus. L’usage modéré que je ferai des renseignements pris sur cet objet prouvera encore plus clairement que je n’ai cherché à m’instruire de tout ce qui est relatif au Préteur et à la Préture que dans la vue générale d’en aider mes supérieurs s’ils me faisaient l’honneur de m’en parler, et par raport à moi, de ne pas laisser sans éclaircissemens des faits allégués publiquement, et dont chacun paroit un phénomène, soit par la hardiesse de l’acteur, soit par l’impunité qui l’a suivie.
Le S. de Klinglin a succédé à son père dans la place de Préteur. Le père était un homme sage, prudent, affectant des dehors de simplicité, de modestie, et de modération. Il a tiré très bon parti de sa place. Il avoit quatre enfans : il leur a laissé à chacun cent mille écus de bien. Personne ne l’a trouvé mauvais. Il a pu tirer quelques émolumens des emplois qui étoient à donner, et des Baux à ferme (p. 333) des revenus de la ville. Son économie a fait le reste.
Son fils qui lui a succédé n’a eu qu’une éducation allemande et grossière. Livré dès sa jeunesse à la crapule, et à la mauvaise compagnie, il s’est enivré de bonne heure des basses complaisances de ses compatriotes gens de son age. Il ne s’est de sa vie apliqué a aucun des objets relatifs à son office, et il a toujours cru que son impudence, et l’air d’assurance avec lequel il parloit de tout, souvent devant des sots, toujours devant d’autres ou complaisans, ou gagnés par ses présens, lui tiendroit lieu de sience. on peut dire qu’il a toute sorte de défauts sans avoir une vertu. Il ne connoit aucun principe de moeurs soit dans l’intérieur de sa famille, soit dans l’administration de son office, soit relativement à ce qu’il doit à ses concitoyens. On peut même dire que vis à vis des fripons qu’il a employés comme prête noms pour agir en conséquence de ses vues, il n’a pas gardé la foi promise : il s’est servi d’eux, et les a ensuite abandonnés au mépris public, ou aux peines qu’ils méritoient.
Il n’est pas étonnant qu’avec de tels principes et de tels sentimens, le S. de Klinglin ait trouvé moïen d’usurper la tirannie la plus complette. (p. 335) Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il ait été aidé et soutenu dans ce projet. M. le Maréchal Du Bourg son beau-frère lui a été, à certains égards, plus utile qu’aucun autre ; Mais en le servant et en l’acréditant, il le réprimoit, et l’empéchoit de porter les abus à un certain excès. Depuis la mort du Maréchal Du Bourg, le Préteur a volé de ses propres ailes, et a usé du crédit qu’il s’étoit ci devant acquis pour tout oser et tout entreprendre. Il a commencé par se débarasser d’un surveillant incommode qui étoit le sindic royal. cet office est plus ancien à Strasbourg que celui de Préteur. Il fut établi par le feu Roy en 1681 et l’office de Préteur ne le fut qu’en 1685. Les fonctions de l’un et de l’autre ont été bien réglées par les édits de création ; mais le S. Hatzel sindic s’étant livré pendant la guerre à diverses négociations et manœuvres relatives au service, il négligea les fonctions de sa charge. Le Préteur s’en empara. Quand Hatzel revint, on contesta, et comme il n’étoit point sans ennemis, tels que M. le Duc de Chatillon, et M. Dangevilliers lui-même, lorsqu’il voulut reprendre l’exercice de sa charge, on trouva moyen de l’en exclure en le laissant (p. 337) néanmoins jouir des revenus.
Après un tel coup d’autorité, il n’a pas été difficile au Préteur d’en imposer, d’inspirer la crainte, et de devenir maître absolu. C’est là le principe véritable de la conduite qu’il a osé tenir depuis.
Je n’entreprends point de faire une énumération exacte des malversations et des prévarications commises par le S. de Klinglin. L’objet en est trop immense, et d’ailleurs quoiqu’il soit venu à ma connoissance beaucoup plus de preuves d’iniquité que je n’en citerai ici, je serois bien éloigné d’avoir tout dit en faisant le détail de tout ce que je sai. Je me bornerai donc a raporter ici quelques exemples du Despotisme outré qu’il exerce tant dans l’administration des affaires de la ville que vis à vis des particuliers ; despotisme qui l’assure de la disposition des revenus de la ville, des charges du magistrat, et enfin de la liberté d’apliquer à son profit tout ce qui peut donner prise à son avidité.
Les dépenses énormes que le Préteur a faites pour la construction des Batimens qu’il a élevés à Strasbourg, Ilkirch, Oberhercken, et de tous les embellissemens dont il (p. 339) les a ornés, se présentent d’abord comme des preuves non équivoques de concussions et de friponneries inouies. Certainement les émolumens de sa place, reduits à ce qu’ils devroient être en justice, n’y eussent pas suffi ; mais il a trouvé le moïen de s’enrichir même de ses dépenses aparentes.
La maison ou plustôt le Palais qu’il a fait bâtir à Strasbourg sur un terrain très étendu apartenant à la ville, et où étoit cidevant l’atelier de tous les ouvrages de maçonnerie, a couté au moins 300.000 lb ; mais de cette somme il n’en a pas payé un sixième ; Le surplus a été pris sur les fonds de la ville ; Les ouvriers qu’elle tient à ses gages y ont été employés ; le fait est de notoriété publique. Ce Palais fini le Préteur proposé au magistrat de Strasbourg de l’acquérir. Personne n’osa le contredire : L’achat fut résolu pour la somme de 200.000 lb que la ville paya au S. de Klinglin. Il fut convenu en même tems que cette maison serviroit d’hotel au S. de Klinglin, et successivement aux Préteurs royaux de cette ville. On n’exagère pas en disant que cet objet seul coute à la ville 500.000 lb. en y comprenant les frais d’entretien, et le prix du (p. 341) grand nombre de glaces, et de tous les meubles qui y ont été successivement placés, et toujours à ses dépens.
Le S. de Klinglin possédoit un château à Ilkirch à une lieue de Strasbourg. Il l’a augmenté de moitié depuis son règne ; Il y a ajouté des Bâtimens somptueux, des orangeries, des hollandoises. Les matériaux ont été pris dans les magasins de la ville ; Il s’est servi de ses ouvriers pour la construction comme il s’en sert encore pour l’entretien.
Ce Chateau perfectionné et embelli, M. de Klinglin desira de s’aproprier le village d’Ilkirch et celui de Graffenstaden qui en est voisin lesquels apartenoient à la ville. Il écrivit à M. Dangervilliers alors Ministre pour demander l’agrément du Roi à l’effet d’échanger ces deux villages contre celui de Hoenem, et une partie de la dime de Hüttenheim fief relevant de l’Evêché de Strasbourg. M. Dangevilliers repondit que sa Majesté n’aprouvoit cet échange qu’autant que la ville n’y seroit point lézée. Il ne falut pas d’autre titre au S. de Klinglin. Il proposa l’échange en question au magistrat, et n’essuya aucune contradiction. Les esprits étoient (p. 343) frapés de ce que tout récemment, le S. de Klinglin aïant demandé un bail emphytéotique de cent et un an de la même seigneurie d’Ilkirch et de Graffenstaden pour un prix modique, le S. Kornman avocat Général s’étoit élevé contre cette proposition, avoit été démis de sa charge. L’échange demandé par le S. de Klinglin fut donc arrêté. Pour démontrer le préjudice qui en a résulté pour la ville, il suffira de dire qu’on a donné une seigneurie composée de 180 chefs de famille contre un village où il n’y en a pas 50 ; qu’on a échangé un ban de trois lieues d’étendue et de 4 à 5.000 arpens de terrain contre un ban qui n’a pas plus d’un quart de lieue, et qui en contient que 900 arpens de terre. Dans la seigneurie d’Ilkirch il y a une forêt qui par son étendue et sa proximité de la ville vaut seule autant que tout le village de Hoenem.
Les bois de charpente dont le S. de Klinglin a eu besoin pour son château d’Oberhercken ont été pris dans les magasins de la ville, façonnés par ses ouvriers, et transportés à ses dépens tant par eau que par terre de Strasbourg à Oberherken qui en est à 16 lieues.
Un terrain de 50 ou 60 arpens (p. 345) qui étoit aux environs de Strasbourg en pature commune a paru au S. de Klinglin propre à y établir une canardière ; Elle a été formée au moins de 200 chênes qu’il a fait couper dans les bois de la ville, et qui ont été façonnés par ses ouvriers et à ses dépens. Ce terrain ainsi dénaturé fait un tort considérable au public par la diminution des paturages.
Il a été question ensuite d’avoir une faisanderie ; Elle a été construite de même que la canardière.
Il ne manquait plus qu’une ménagerie : on l’a pratiquée dans un terrain qui étoit en pature, et pareillement avec les matériaux et les ouvriers de la ville.
Le S. de Klinglin ne trouvant aucune resistance dans les desseins que sa cupidité ou ses plaisirs lui suggèrent usurpe et s’aproprie tout ce qui est à sa bienséance. Il y a 25 ans qu’il s’est emparé de plusieurs Isles du Rhin consistant en des paturages et des glandées considérables. On en a offert à la ville 2000 lb de rente.
Il fait abattre de son autorité privée les arbres qu’il juge à propos dans la forêt de la ville. il y a quelques années qu’il y fit faire une coupe assés considérable : Les bois qui (p. 347) en provinrent furent vendus à son profit de même que les écorces. Il en usa de même en 1747 pour 6000 fagots et 120 cordes de bois dont la vente fut également à son avantage.
De quelle manière que les revenus de la ville de Strasbourg aient été administrés jusqu’ici, c’est à dire soit qu’ils aient été affermés en gros ou en détail, soit qu’ils aient été en régie le S. de Klinglin en a toujours tiré des sommes exhorbitantes. En 1729 il en donna la ferme générale au nommé Alb pour six années moiennant 728.000 lb. chacune. Le public se recria contre la modicité du prix ; Personne ne fut écouté ; Le S. de Klinglin étoit intéressé pour un tiers dans l’affaire. Elle lui a raporté plus d’un million dans les six années qu’a duré le bail.
Dans d’autres circonstances les revenus de la ville ont été affermés par parties. Le S. de Klinglin les a adjugés à qui il a voulu, et suivant les retributions qui lui ont été faites par les fermiers, en sorte que le prix des baux a toujours été diminué au préjudice de la ville à proportion de ces gratiffications.
A ces faits généraux il convient d’en ajouter deux particuliers qui se sont passés à la face de toute la ville.
(p. 349) Le S. de Klinglin a fait il y a quelques années une adjudication pour la fourniture du bois de chauffage dans les magasins de la ville à raison de 17 lb la corde. On pouvait traitter à 12 lb ou 13 lb au plus ; mais les adjudicataires donnèrent au S. de Klinglin trois mille Louis d’or. Dans la suite le bail fut résilié. Sur les plaintes et les murmures du magistrat, M. de Klinglin disposa les fermiers à se départir de leurs droits au moïen d’une indemnité qu’il leur procura de la part de la ville ; mais pour parvenir à la toucher, ils furent obligés de donner encore au S. de Klinglin une somme de 24.000 lb.
Le second fait s’est passé en plein magistrat. Au mois de Juillet 1750, le S. de Klinglin y envoya son fils. Il exposa qu’étant question d’aprovisionner les magasins de la ville de 10.000 sacs de grains moitié froment moitié seigle, son père avoit dans la main un homme en état de faire cette fourniture pour laquelle il étoit convenu de lui payer 32 lb par paire. Un magistrat offrit de prendre le marché au même prix et de bonifier à la ville une somme de 30.000 lb. Il ne fut point écouté. A la pluralité des voix, le marché fut (p. 351) passé au fermier proposé par le S. de Klinglin qui de cet article seul a tiré 60.000 lb.
Malgré toutes les retributions que le S. de Klinglin a perçu des différens fermiers il n’a point été satisfait. S’étant aperçu qu’ils gagnoient encore sur leurs marchés, il s’est rendu fermier Général de tous les revenus de la ville en les faisant adjuger sous la cheminée et à vil prix, à différens particuliers qui lui prétoient leurs noms. Il est arrivé de là que la ville ne pouvant plus faire face à ses dépenses ordinaires elle a été obligée de faire des emprunts considérables dont le S. de Klinglin s’est aproprié une partie. Il y a deux ans que de prétendus fermiers de la ville qui n’étoient que ses prêtenoms aïant renoncé à leur ferme, obtinrent, par manière d’indemnité, les revenus de l’accise qui montent annuellement à 40.000 lb. Il a été démontré et prouvé que le S. de Klinglin seul en a touché le produit.
Une autre manière dont le S. de Klinglin fait usage pour appliquer à son profit les deniers de la ville est de décerner, sans la participation du magistrat, des assignations et des (p. 353) mandemens particuliers de sommes considérables sur les différentes caisses de la ville sous le prétexte de dépenses secrettes. Il touche seul ces sommes, et n’en rend aucun compte. Il ne se donne même pas la peine d’en désigner l’emploi.
Les gages du S. de Klinglin sont augmentés à sa volonté. Il n’y a de bornes que celle que sa modération veut bien y mettre. Ses voyages à Paris lui sont payés ordinairement 200 Louis. Le dernier qu’il y a fait lui a été payé 500 Louis par la ville ; Il en avoit d’abord reçu 300 en arrivant ; on lui en fit payer encore 200 sur l’assurance qu’il donna d’avoir réussi dans tous les objets qui avoient occasionné son voyage. Outre ces 500 Louis, l’agent de la ville envoya encore un compte de 8.000 lb. qu’il avoit payées pour du vin fourni au Préteur pendant son séjour à Paris.
Il n’étoit pas possible qu’une dissipation et un divertissement aussi énormes des revenus de la ville de Strasbourg, quelque considérables qu’ils fussent, n’opérassent comme cela est arrivé, l’épuisement de ses caisses. L’esprit du S. de Klinglin lui a suggéré dans cette occurrence des moïens de réparer le vuide que cette situation (p. 355) occasionnoit nécessairement dans ses profits. Il a engagé le Magistrat à vendre tout ce qui étoit dans la ville comme moulins, maisons, magasins et places publiques.
La ville de Strasbourg possédoit quatre moulins qui lui raportaient annuellement 745 sacs de grains moitié froment moitié seigle, et 562 lb en argent. Ces moulins ont été vendus au détriment de la ville et des particuliers qui les tenoient à ferme, lesquels, lorsque le bail leur en avoit été passé, avoient gratiffié le S. de Klinglin d’une somme de 8400 lb. La vente a été passée pour 30 ans pour 90.000 lb ; mais il faut observer que de cette somme il n’en est revenu à la ville que 58.500 lb parce que d’un coté le S. de Klinglin en a fait donner 24.000 lb pour prétendu dédommagement au meunier des huit tournans qui lui en a rendu la moitié, et que de l’autre il a fait encore donner 2500 lb d’indemnité aux fermiers qui n’étoient autres que lui même puisque toutes les fermes le regardent seul, et ne sont passées qu’à ses prête noms. De sorte que la ville n’a réellement tiré que 58.500 lb de quatre moulins qui sont en bon Etat, et qui raportent annuellement 6512 lb de rente. Les intérêts du S. de Klinglin ont été mieux ménagés. On a vu ci dessus que par (p. 357) cette vente il lui est revenu 19.500 lb pour raison de prétendus dédomagements aux fermiers et au meunier ; ce n’est pas tout : L’acheteur lui a encore donné pour épingler une somme de 24.000 lb.
A l’égard du produit des maisons qui ont été vendues, le S. de Knlinglin s’en est aproprié une partie sous prétexte de se rembourser des avances de dépenses qu’il a faites lors du passage de Mad. la Dauphine.
Deux places publiques ont aussi été vendues. Les deux tiers du prix ont tourné à son avantage.
Il a encore été vendu un Bois de l’autre coté du Rhin pour 48.000 lb. La ville en auroit eu 58.000 lb si le S. de Klinglin n’avoit pas exigé 10.000 lb de l’adjudicataire.
Toutes les fêtes publiques que le S. de Klinglin a donné, et dont il s’est si fort enorgueilli, ont été payées par la ville, et il a même trouvé le secret d’en grossir la dépense de manière qu’il y a encore gagné moitié en sus.
Indépendamment de toutes les sommes que le S. de Klinglin tire des revenus de la ville, il sait encore se procurer d’autres ressources. Il ne néglige pas les moindres objets. La chancellerie lui a fourni dans une seule année pour 1500 lb de papier, et les autres fournitures de Bureau à proportion. Il tire (p. 359) annuellement du magasin public au-delà de 1000 cordes de bois et de 10 à 12 mille fagots ; Il est impossible qu’il les consomme, son père n’en prenoit qu’environ cent cordes. Il fait en outre transporter à sa campagne par les voitures de la ville au moins cent cordes de bois par an, quoiqu’il y possède une forêt considérable. Il paie la plupart des marchands ses créanciers aux dépens de la ville. Sa blanchisseuse, son boulanger et les autres ouvriers sont payés en bois qu’il faut prendre au magasin public. On a vu même avec indignation que le S. de Klinglin devoit au nommé Hanon marchand pour de la fayence qu’il lui avoit fournie, il s’est acquitté avec lui en lui donnant en paiement un terrain de quatre arpens apartenant à la ville, pour y faire construire un moulin qui raporte mille livres de revenu par an.
Un dernier fait prouvera l’adresse, ou pour mieux dire l’effronterie du S. de Klinglin pour detourner à son profit les revenus de sa ville. Les Prébendés de la Cathédrale de Strasbourg possédoient avant la revolution de la religion deux maisons dans cette ville, et en outre la Dime d’Ilkirch. Ils cédèrent le tout au magistrat depuis le Luthérianisme pour le logement de deux ministres et pour leur compétence annuelle de 1260 lb pour les (p. 361) deux, à condition que le surplus du produit de cette dîme, s’il y en avoit, seroit rendu à ces Prébendés qui de leur coté s’engagèrent, si la dîme n’étoit pas suffisante pour le paiement des 1260 lb de parfaire le surplus. La fondation de St Marc régissoit cette dîme, et en faisoit le décompte aux Prébendés. Ceux-ci se trouvèrent redevables de 8648 lb qu’ils auraient été obligés de payer à la ville si le S. de Klinglin, qui avoit en vue de se procurer la dîme d’Ilkirch, n’étoit pas venu à leur secours. Il les engagea de faire signifier un acte au Magistrat pour répéter tant les deux maisons que la dîme. Quoique la ville les possédat depuis plus de deux cens ans, le S. de Klinglin proposa au Magistrat de céder les deux maisons, la dîme et les 8648 lb d’arrérages plustôt que de soutenir un procès à gros frais contre les Prébendés. Cette ridicule proposition fut adoptée, et le S. de Klinglin a eu depuis pour récompense la dîme d’Ilkirch que les prébendés lui ont cédée. La ville de Strasbourg a donc perdu dans cette seule affaire la dîme d’Ilkirch, les 8648 lb que les prébendés devoient d’arrérages, 26.000 lb qu’il lui en a couté pour remplacer les deux maisons restituées, et elle reste en outre chargée du paiement de la compétence des deux ministres qui est de 1260 lb.
(p. 363) Après avoir donné une idée des moïens que le S. de Klinglin a mis en pratique en différens tems pour tirer parti de l’autorité qu’il s’est acquise dans le Magistrat de Strasbourg, et s’en servir principalement pour s’enrichir aux dépens de cette ville, il ne sera pas déplacé de dire un mot de sa conduite à l’égard des particuliers. Les véxations dont il use vis à vis d’eux n’ont jamais pour objet que de les obliger à s’en racheter, soit par de l’argent, soit en devenant favorable à ses vues. Il a de fréquentes occasions de se satisfaire. Il n’est pas une charge ni un emploi soit dans la ville, soit dans les Bailliages qui en dépendent dont il ne dispose souverainement, et toujours au plus offrant. Cette vénalité, indépendamment de l’argent considérable qu’elle lui assure, lui donne d’ailleurs une domination entière sur tout parce qu’il choisit de préférence des gens qui lui sont dévoués, et qui dans cette occasion souscrivent aveuglément à ses volontés.
Cette disposition des charges et emplois est si lucrative entre les mains du S. de Klinglin, et lui a produit des sommes si considérables, qu’on avance hardiment que ce seul article lui a valu au dela d’un million. Une famille seule qu’il a pourvu dans (p. 365) l’espace de deux ans de trois ou quatre emplois lui a donné plus de 50.000 lb. Si cet exemple n’est pas suffisant pour persuader de la vérité de ce qui vient d’être avancé, l’Etat ci après servira de preuve complette. Il contient les Sommes que le S. de Klinglin a reçu des Magistrats ou autres employés actuellement vivans ou qui sont morts depuis très peu de tems. On y verra que tout est rançonné jusqu’aux emplois les plus vils et les plus deshonnorans.
Wencker ameistre a donné 6000 lb
Hamerer ameistre 6000
Faust ameistre 10.000
Reishoffer ameistre 4000
[total] 26000
de l’autre part 26000
Frid le treize 2000
Lang le treize 6000
Billeret avocat Général 6000
Wenckher avocat Général 6000
Faber pour la charge de Consulent 3000
Reishoffer quinze 2300
Schenck quinze 2000
Gerber quinze 2300
Wetzel quinze 2000
Gangolff quinze 3000
Lemp vingt et un 2400
Dietrich conseiller 3000
Leidersperger quinze 3000
Geiger vingt et un 12000
Brackenhoffer vingt et un 12000
Khükn quinze 12000
Schmid quinze 12000
Langhans quinze 8000
Denner quinze 3000
Gams quinze 2400
[total] 130.400
(p. 367) Ci contre 130400
Haxo vingt et un 14000
Muller pour le Baâge de Baar 6000
Marco pour être Trois à la Tour aux Phennings et pour le Bailliage de Baar 18000
Koenig avocat Général 8000
Vaudin Receveur le la fabrique Notre Dame 6000
Staedel quinze 4000
Dreyer Greffier de la Manance 6000
Streicher secretaire des treize 8000
Schweighauser substitut de la chambre de la taille 3600
Rogenbach Conseiller 1800
Stras Trois sur la Tour aux Phennings 2400
Haffner sergent de la Tour aux Phennings 3000
Haffner le frere vicaire du sergent du Grand Senat 2400
Sebastien Inspecteur du marché aux grains 480
Strehling Inspecteur de l’Umgueldt a la place du nommé Beck qui a été fustigé et condamné aux galères 6000
Friderici Secretaire des quinze 6000
Staedel Second Secretaire des quinze 4000
[total] 230.080
de l’autre part 230.080
Moseter Greffier du bureau de l’Umgueldt 2000
Crais sergent de l’Ameistre Regent 4000
Schimmelphenning autre Sergent 2400
Bresler gourmet 1440
Saxs Sous Greffier de la Chambre des Contrats 4000
Capaun Comre. de la ville 8400
Capaun frere Greffier de l’accise 3000
Acker Greffier du Baâge de Wasselonne 3000
Cléé facteur à la Douanne 2400
Baan Geolier 600
Jost Geolier 600
Le Peseur de farine à la porte de l’hopital 800
La fermiere conseiller 600
Lutter cordeur ou mesureur de bois 1000
Schag Garde de l’Umgueldt 480
Durand Garde du même bureau 360
Hannibal Idem 480
Reusch Idem 360
Ziegler cordeur ou mesureur de bois 800
Riedel Sergent de la Chambre des quinze 2400
[total] 269.200
(p. 369) Ci contre 269.200
Busch valet de la Douane 2400
Dürr Echevin 720
Hirsch cordeur et mesureur de bois 600
Les freres Widmann Gardes de la Douane 3600
Zoepfel vingt et un 2400
Beyerlé ameistre 5400
Wolff Conseiller 3000
Lautz Conseiller 2400
Richard Conseiller 3000
Hamerer Conseiller 2000
Reishoffer Conseiller 2000
Fischer Conseiller 1500
Lauth Conseiller 2400
Nicard Greffier Criminel 1500
Silberad Sous Greffier criminel 1000
Schlosser Secretaire de la chambre du logement 2400
Nicolaï referendaire au Petit Senat 2000
Bart scribe dans la chancellerie 600
Beguin autre scribe 800
Gombault Greffier de la Douane 1200
[total] 310.120
de l’autre part 310.120
Hammerer freres valets de la Douane 3400
Eberlé Garde de la Douane 600
Unselt Receveur de la fondation St Guillaume 1000
Wild Conseiller 600
Frichel scribe de la chancellerie 1000
Hirsling Conseiller 1000
Froelich Receveur de la fondation St Marc pour la subsistance des pauvres 7000
Dorsner autre Receveur 6000
Diebold receveur du Bailliage de Baar 6000
Oesinger Greffier de la chambre des Contrats 2000
Heipel Receveur des Orphelins 6000
Unzelt pour la recette de Dorlesheim 3000
Kühn le pere Trésorier de la ville 3000
Schulmeister greffier du Bailliage de Baar 2400
Brey Trois perpétuel à la Tour aux Phennings office nouvellement créé par le Préteur 9000
Herrenstein autre Trois à la Tour aux Phennings 3000
Brosius Receveur de Wasselonne 4400
Gerber Greffier de Marlenheim 3000
[total] 372.520
(p. 371) Cicontre 372.520
Rumpler Greffier de Dorlesheim 6600
Kolb Greffier de la Tour aux Phennings 3000
Pflug architecte de la ville 3000
Schrag Gourmet 3600
Woitz Inspecteur des vins 2000
Schatz receveur de l’accise 2000
Grumenacker valet de la Douane 800
Morbach Greffier du péage du Rhin 1440
Voth Controlleur du même péage 1000
Hess Controlleur de la Manace 2000
Mollinger Comre. des Bâtimens 3000
Hervé Inspecteur des épiceries 1200
Fibich Idem 720
Maug consulent 4000
Neuhauser Procureur au Bailiage de Baar 96
Geb sergent de la Com. de Gertwiller dépend. du Bailliage de Baar 300
Riedel Ministre luthérien de Baar 400
Stoeser Receveur de l’hopital 3000
Le m° des hautes oeuvres du Bailliage de Wasselonne 400
[total] 411.076

On doit répéter que dans cet Etat il n’y a de compris que les Magistrats ou employés actuellement vivant ou morts depuis peu. Il faudroit des volumes pour citer tous ceux qui se sont trouvés dans la même cas depuis la Préture du S. de Klinglin. On observe seulement qu’outre le remplacement de charges et emplois à vie par la mort de ceux qui les occupe, on nomme encore tous les deux ans de nouveaux conseillers de la ville qui sont placés dans différens Bureaux et employés en différentes chambres pendant les deux ans. ils n’y parviennent certainement pas sans finances ; De sorte que le S. (p. 373) de Klinglin a reçu au moins deux fois la finance des emplois qui n’existent que pendant deux ans ; or il y a un tiers des emplois de la ville dans le cas de changer ainsi tous les deux ans ; De là on peut juger qu’on ne dit rien de trop en avançant que la vénalité des offices a déjà produit au S. de Klinglin au dela d’un million.
Venons à présent aux voies dont se sert le S. de Klinglin pour extorquer de l’argent des particuliers. Quelques faits connus de tout le monde mettront en évidence des injustices et des friponneries manifestes.
Il est porté par un des principaux Statuts de la ville de Strasbourg que lorsqu’un Bourgeois sujet à la taille a fait une fausse déclaration de ses facultés, et a payé moins de taille qu’il ne devait proportionnément à son bien, et que cette fraude se découvre après sa mort, son bien doit être confisqué au profit de la ville. Cette Loi n’est jamais pleinement exécutée. Lorsque quelque famille se trouve dans le cas, le S. de Klinglin fait faire des poursuites à toute rigueur jusqu’à ce que ses émissaires ont stipulé et fait payer aux héritiers une somme asses forte pour l’apaiser. Toutes poursuites cessent pour lors, et il n’est plus (p. 375) question des droits de la ville. Il y a environ trois mois qu’un nommé Walter riche Bourgeois de Strasbourg est décédé. Le S. de Klinglin envoya sur le champ demander un extrait du regître de la chambre de la taille, et trouvant matière à chicaner les héritiers Walter, il ordonna de son autorité privée à deux conseillers et au Greffier du Grand Senat de mettre le scellé sur les effets de ce particulier. sa veuve effrayée envoya son neveu offrir au Préteur 30 Louis. Il les prit, et fit lever aussitôt le Scellé de même sans la participation du Magistrat.
Pour se mettre à couvert de pareilles véxations, il y a 60 des plus riches bourgeois de Strasbourg qui depuis huit ou neuf ans se sont abonnés de l’autorité seule du Préteur pour le paiement de la taille. L’abonnement est modique, mais ils ont donné au moins 30 Louis chacun au S. de Klinglin. Il en avoit couté précédemment plus de 10.000 lb aux héritiers d’un nommé Hauser pour un fait semblable à celui de la veuve Walter.
Le S. de Klinglin ne néglige rien de ce qui peut lui procurer de l’argent. La lézion de la ville et celle du public ne le touchent point. Il a établi dans Strasbourg un magasin où il fait fabriquer la chandelle. Les bouchers sont obligés d’y livrer leurs suifs à un (p. 377) prix modique, et tel qu’il l’a fixé, tandis que la chandelle qui y est faite, et qui est de très mauvaise qualité, se vend au public à un prix fort haut. Le S. de Klinglin tire de cet article un revenu de 12 à 15.000 lb par an.
Il y a quelques années qu’il voulut de même assujettir les Bouchers à livrer leurs peaux à la ville au prix qui seroit réglé. Cet objet devoit former une ferme particulière au profit de la ville. Les Bouchers ne voulurent pas y consentir. Ils achetèrent la liberté de disposer de leurs peaux en offrant de payer au S. de Klinglin 24 s. par boeuf qu’ils tueroient, et à proportion pour les veaux et moutons ; ce qui peut aller a 15.000 lb par an. Il s’en procure le paiement par des lettres de change non motivées comme de raison.
Quelques années après ce marché, les Bouchers en prirent prétexte pour demander une augmentation de 4 d. par livre de viande. Le S. de Klinglin la leur fit accorder moïennant 12 s. de plus par peau de boeuf. De pareilles augmentations sur le prix des denrées ne sont pas rares à Strasbourg. Les Bouchers, les Boulangers, et les Brasseurs se procurent à leur volonté des taxes plus fortes moïennant les retributions qu’ils donnent au S. de Klinglin. C’est un moïen sur de parvenir à leur but.
(p. 379) On a remarqué que depuis huit ans le S. de Klinglin a autorisé dans la ville de Strasbourg l’établissement de six nouvelles Brasseries. C’est contrevenir aux règles ; mais l’argent qu’il a reçu des Brasseurs a aplani les dificultés. Le nommé Hatt à l’enseigne de l’espérance lui a donné 2400 lb. Birckel à l’enseigne des Trois fleurs de lys 2400 lb. Ferius à l’enseigne du griffon 3600 lb. Le Brasseur de l’enseigne de l’encre 2400 lb. celui du Sauvage 1200 lb, et un nommé Schleber à coté de l’ours noir 2400 lb.
Ceux qui ne connoissent pas l’intérieur des affaires de la ville de Strasbourg, et la manière dont elles s’y traittent, sont surpris avec raison du mauvais état des Logemens de la garnison. La surprise cesse dès qu’on est instruit que tous les Bourgeois qui ont quelques facultés se rédiment de la charge du logement au moïen des sommes dont ils gratiffient le Préteur. Il résulte nécessairement de cette manoeuvre une opression accablante pour le pauvre Bourgeois, et une augmentation dans les revenus du S. de Klinglin.
Le fait suivant mérite une attention particulière. Un nommé Kibs Bourgeois Passementier de Strasbourg fut dénoncé par un Garde comme aïant acheté 80 sacs de pavots dans (p. 381) les environs de la ville. Deux magistrats commissaires Délégués pour ces sortes d’affaires aïant interrogé ce particulier, il répondit ingénuement qu’il avoit acheté ces pavots pour les revendre, mais qu’il ignorait que ce commerce étoit défendu. Les juges bornèrent la punition à une amende de 24 lb ; mais le S. de Klinglin toujours avide aïant apris que ce Bourgeois avoit du bien, fit assembler la chambre des quinze, et en vertu d’un vieux titre du tems des Empereurs qui défend à toute personne de faire des amas de denrées dans la ville, ou à deux lieues à la ronde, sous peine de 20 marcs d’or, le Préteur opina pour la cassation de la sentence des premiers commissaires ; ce qui fut exécuté, et l’amende de 20 marcs d’or prononcée contre Kibs. Celui ci instruit de sa condamnation sut par les agens du Préteur les moïens dont il devoit se servir pour l’éviter : on convint de 100 Louis ; Ils furent payés au Préteur qui, huit jours après, rassembla la même chambre, et fit absoudre ce particulier.
Voici encore un exemple de concussion aussi frapant que celui qui vient d’être raporté. Le nommé Raderer Luthérien Bourgeois aisé de Strasbourg veuf agé de 70 ans, et (p. 383) aïant plusieurs enfants, forma le dessein de se remarier. La fille qu’il vouloit épouser étoit sa cousine germaine, et il faloit des dispenses du magistrat. Ses enfans, par l’entremise de l’abbé Breny ex jesuitte, promirent et donnèrent 50 Louis au Préteur pour l’engager à refuser les dispenses nécessaires. Le Préteur en effet manda Raderer, lui dit qu’il devoit renoncer à son mariage, et que les dispenses ne lui seroient point accordées. Il les obtint cependant le lendemain aïant doublé la somme que ses enfans avoient donnée. Ce fait est arrivé tout récemment. On verra par celui qui suit qu’il est difficile aux particuliers qui, par leurs offices, dépendent du magistrat de Strasbourg, de s’exemter des contributions que le S. de Klinglin leur impose. Le S. Schmid fut nommé il y a quelques années à la place de Greffier du Bailliage de Baar. Obligé de céder à de puissantes recommandations en faveur de ce particulier, le S. de Klinglin ne put pas le rançonner à l’ordinaire ; mais il n’y perdit rien. Dans l’année 1749 il envoya à Baar à l’insçu du magistrat, un officier de la chancellerie, homme qui lui est absolument livré, pour informer contre Schmid sous prétexte qu’il excédoit les habitans du (p. 385) bailliage dans la taxe du Greffe ; bien loin que l’information fut désavantageuse à Schmid, tous les témoins déposèrent à sa décharge. Le S. de Klinglin ne perdit pas courage ; Il fit menacer par ses émissaires ce Greffier de sa destitution ; Pour parer le coup, et se garantir de toute persécution on indiqua à Schmid le parti qu’il devoit suivre ; Effectivement aïant donné comptant au S. de Klinglin une somme de mile écus, il recouvra sa tranquillité, et le S. de Klinglin l’assura même de sa protection.
C’est ainsi que par son despotisme ce Préteur véxe et oprime qui bon lui semble jusqu’à ce qu’il en ait tiré les sommes qu’il desire. Il se sert surtout pour parvenir à ses fins du privilège qu’a le Magistrat de juger au criminel en dernier ressort. Il fait embrasser cette voie contre les gens qu’il a en vue ; mais dès qu’ils ouvrent leurs bourses, le S. de Klinglin non seulement arrête le cours des procédures, mais même en fait disparaître jusqu’aux moindres vestiges.
Il pourvoit à ses besoins ou à ses fantaisies encore d’une autre manière. Il fait proposer par ses émissaires aux Tribus de la ville de lui accorder des Dons gratuits ; chose qu’on n’a pu lui refuser nombre de fois, et en diverses occasions.
(p. 387) C’est dégrader l’humanité que de dire qu’il a eu l’audace de faire nourrir jusqu’ici 150 chiens aux dépens des pauvres de l’hopital des Bourgeois où il envoie prendre journellement le pain nécessaire à leur subsistance.
Une pareille conduite devroit ce semble garantir le S. de Klinglin de la nécessité de contracter des dettes ; cependant il en fait ; mais il s’acquitte envers ses créanciers, soit en leur conférant quelques emplois dans le Magistrat, soit en leur accordant quelques droits au préjudice de la ville, soit en les trouvant en faute, et leur faisant rédimer l’impunité.
Cette foible esquisse des manoeuvres du S. de Klinglin paroit suffisante pour faire voir jusqu’à quels excès il pousse son injuste domination, et l’envie de s’enrichir aux dépens de la ville et du public. On ne finiroit pas si on vouloit raporter toutes les malversations qui ont rendu le S. de Klinglin odieux à tous les honnêtes gens qui le connoissent. Ce seroit un assés grand travail que de s’apliquer à les découvrir entièrement, mais surement les recherches en seroient faciles, et on prouveroit que depuis que le S. de Klinglin est Préteur de Strasbourg, il a tiré de la ville et des bourses des particuliers au moins 5 à 6 millions qui lui ont assuré (p. 389) sa fortune actuelle, et ont subvenu dans l’intervalle à toutes ses folles et excessives dépenses.

Nottes concernant M. le Préteur de Strasbourg
Il s’est établi à Strasbourg une chambre d’économie. Elle a resté longtems dans l’inaction. Vers les mois de Mai et Juin 1751 elle a commencé à s’occuper sérieusement des affaires de la ville. Elle vient de priver le Préteur de l’Accise sur les vins : C’etoit un objet de 40.000 lb qui avoit été donné en indemnité aux derniers Prête-noms de la ferme de la ville lorsque le bail avoit été résilié. Le Préteur fils a observé à Mrs. de la Chambre qu’en suprimant cette indemnité, elle exposoit la ville à des procédures de la part des fermiers. On les a mandés, et on leur a déféré le Serment sur le fait de savoir s’ils jouissoient de cette indemnité ; Ils n’ont pas voulu jurer, et ont par là constaté que le Préteur jouissoit seul de l’accise.
La chambre d’économie vient aussi de suprimer le monopole sur les Suifs, qui étoit pour le Préteur un objet de 15.000 lb.
Elle a pareillement suprimé l’objet des 24 s. par peau de boeuf, et du droit sur les autres peaux dont (p. 391) jouissoit le Préteur. Cet objet est au moins de 20 à 22.000 lb.
Elle vient aussi de faire une reforme sur les vins de dîme. Il en résulte un préjudice notable pour le Préteur.
Le Magistrat dispose des offices depuis quatre mois. Il est aisé de sentir que c’est encore une source considérable de bénéfice tarie pour le Préteur.
Le Magistrat vient de rentrer dans les chasses des Bailliages, et en a oté l’usage au Préteur qui les avoit usurpées. C’est plustôt un désagrément qu’une lézion. Il est vrai néanmoins qu’en diminuant les chasses du Préteur, c’est diminuer son revenu ; car il fait vendre tous les ans pour plus de 15 à 18.000 lb de gros Gibier à Strasbourg.
La chambre d’économie a encore fait défenses d’acquitter aucun mandement du Préteur qui ne fussent motivés et visés d’un ameistre et d’un stattmeistre. a l’occasion du passage de Mad. Dargenson M. le Préteur envoya un mandement de 2000 écus. on refusa de l’acquitter. Ce mandement avoit pour objet le paiement de la Reception faite à Mad. Dargenson et de la fête qu’on lui avoit donnée.
La chambre d’économie fait actuellement des recherches pour constater par preuve un fait notoire qui est que le Préteur imposoit par an 40.000 lb d’excédent de capitation à son profit. Elle fait des recherches pareilles sur l’objet des Logemens.
Il ne faut pas oublier le traittement fait à un Juif Bâtisé nommé Mayer. Il a été six ans attaché au Préteur fils et au Père en qualité d’Ecuyer. Il a été bani de la ville. Il demeure à Kitersbourg près de Colchir [Goldscheuer] à deux lieues de Strasbourg. Il est bien informé du détail des faits et gestes de son tems ; et on n’a cherché à l’écarter que comme étant trop instruit. Il n’y a rien que l’on ne fasse pour le tirer d’où il est et l’éloigner. on y emploie également et les promesses et les menaces.
L’aventure de Beck est encore bien plus singulière dans les circonstances. Elle demande longue explication ; mais il n’y a pas d’exemple de tirannie aussi manifeste.
Il y a une Caisse de consignation pour les Justices de la ville de Strasbourg. Il devait s’y trouver 50 ou 60.000 lb et il ne s’y est trouvé au mois de Juin 1751 que des mandemens du Préteur.
A la fin du mois d’aout 1751, on a fait courir dans la ville de Strasbourg pour 20.000 lb de lettres de change signées du Préteur et de son fils : Indécence à part, personne n’a voulu prendre de ce papier.
On vient de reconnoître par l’examen (p. 395) qui a été fait de la recette et de la dépense de la Capitation que paie la ville de Strasbourg que le Préteur a imposé chaque année au moins 30.000 lb de plus que la somme qui en revient au Roi. De ces 30.000 lb le Préteur a disposé des deux tiers par des ordres et des mandemens signés de lui, dans lesquels il a inséré que le montant en étoit destiné à payer des pensions, et des grattifications dues à des personnes de la Cour. Le Magistrat est dans la disposition de laisser tomber cette affaire pour ce qui regarde le passé ; Il craint d’être recherché lui même sur ce qu’il ne s’est point opposé à cette augmentation illicite ; Mais il a pris des mesures pour que l’imposition dont il s’agit de soit portée à l’avenir que jusqu’à concurrence de la somme qui revient annuellement au Roy.
La caisse du Magasin à Sel a été confiée jusqu’ici au nommé Daudet qui a épousé une fille naturelle du Préteur. Il y a sept ans que ce magasin a été affermé ainsi que les autres parties des revenus de la ville de Strasbourg, c’est à dire au profit du S. de Klinglin qui a tiré de cette partie près de 100 mille écus. Le bail ne doit expirer que dans un an ou 18 mois : Cependant la chambre d’économie est resolue de le resilier. Les prête noms du Préteur demandent (p. 397) 60.000 lb d’indemnité.
La chambre d’économie vient aussi d’ordonner la visitte des forêts que la ville de Strasbourg possède à Wasselonne. Le Magistrat est informé que dans l’année dernière le Préteur y a fait couper 36.000 fagots qui ont été vendus à son profit, et qu’il a en outre ordonné aux forestiers d’y faire couper des arbres de chêne pour le paiement du prix d’un grand nombre de tonneaux qu’il a fait faire à Wasselonne et qui ont été transportés à Oberhercken. Le Préteur fils s’est oposé inutilement à cette visitte.
Il vient d’être decouvert que M. le Comte d’Argenson aïant invité la ville de Strasbourg à l’achat d’une maison pour le logement de M. d’Hauteval major de la place, le Préteur détermina le S. Boeckler à vendre la sienne moïennant 48.000 lb, à condition que sur cette somme il y auroit pour lui 400 Louis que Boeckler paya en effet au Préteur.
Le S. de Klinglin fils se trouve actuellement dans de grands embaras à raison de ses dettes qu’on fait monter au dela de 200 M lb : Ses créanciers menacent de le poursuivre pour le paiement. Une demoiselle Agathe sa maîtresse publique vient d’accoucher ; Il l’a abandonnée ; L’enfant a été exposé dans la rue où demeure le Jeune Préteur, et mis depuis aux enfans (p. 399) trouvés. Cette aventure donne lieu à beaucoup de propos tant de la part du public que de la part de cette fille qui fait courir le bruit qu’elle n’aura plus aucun ménagement. On ignore sur quoi ses menaces peuvent être fondées.
Le S. de Gail stattmeistre de la ville de Strasbourg est à la tête de la chambre d’économie. Mad. la Comtesse de Lutzelbourg soeur du Préteur a passé plusieurs fois chés lui ; Ne l’aïant pas trouvé, elle l’a fait prier de se rendre dans son Jardin où elle avoit à l’entretenir. Elle lui a d’abord parlé amiablement en lui reprochant les poursuites qu’il faisoit contre son frère. Le S. de Gail n’aïant pas paru dans l’intention de les ralentir, Mad. de Lutzelbourg a changé de ton : Elle lui a dit « que lui et tous ceux de son parti s’en repentiroient, qu’ils étoient connus à la Cour pour des mutins, des rebelles, et des Républicains ; qu’au premier Jour on séviroit contr’eux ; qu’ils alloient tomber entre les mains de M. de Serilly qui les écraseroit eux et la ville de Strasbourg. »


Les Maisons de Strasbourg sont présentées à l’aide de Word Press.